L’Occident impérialiste ne donne pas de tribune à l’opposition arabe qui, pourtant, grâce à des sympathisants en Europe et aux Etats-Unis, parvient à se faire entendre de l’opinion publique . Anna Winterbourne, lorsqu’elle prend fait et cause pour les indépendantistes égyptiens, recherche des Anglais qui feraient passer ce message, en s’appuyant sur des précédents politiques :
‘ I have been thinking of Ireland and of how whatever progress the Irish Question was vouchsafed, it only came about because there were people in England prepared to state Ireland’s case. It was their good fortune […] that there were those among our rulers whom they could count as their friends. (AS ML 399) ’Pour eux, il s’agit dans un premier temps, d’attirer l’attention d’autres peuples opprimés et d’en obtenir le soutien :
‘ If the case is publicised enough, people will press for questions to be asked in Parliament and the Irish will take it up. The Foreign Office did not want this to happen. They will be embarrassed. (AS ML 428) ’Khalid Kishtainy introduit deux Irlandais dans The Barrel à qui il laisse le soin de conclure, dans le registre de la dérision qui caractérise le ton de ses pièces. Malgré l’apparent cynisme de la réplique qui suit l’explosion et la disparition des Arabes et des juifs, l’ennemi commun est clairement désigné :
‘ And half a ton of best Gelignite to smoke out the British for the Cause o’ Muther Ireland is gone, wasted on a handful o’ blaedin wogs.(KK B 41)’La stratégie de pression sur les Anglais passe aussi par un recours auprès des autres puissances occidentales concurrentes (‘Mustafa Kamel will write in France’. (AS ML 428)).
Cependant cet appel à l’opinion publique internationale ne peut être efficace que si le message est transmis non seulement dans la langue du destinataire mais aussi au moyen de références culturelles, historiques ou politiques qu’il comprenne immédiatement et qu’il reconnaisse comme sienne :
‘ They will read « camels » and « god is generous » and « odours of blessings » and they will say « fanatical Arabs » and send the troops.(AS ML419)’D’où l’importance d’un idiome commun, ce que souligne Anna Winterbourne :
‘ They cannot speak because there is no platform for them to speak from and because of the difficulties with language. By that I mean not just the ability to translate Arabic speech into English but to speak as the English themselves would speak, for only then will the justice of what they say – divested of its disguising cloak of foreign idiom – be truly apparent to those who hear it. (AS ML 399) ’Seuls les bi-culturels semblent capables de jouer un tel rôle. Les auteurs de ce corpus s’en acquittent en donnant la parole à une variété de personnages auxquels les Occidentaux peuvent s’identifier. Anne Winterbourne avec son aura romantique est un excellent vecteur, hors récit, d’un point de vue polémique dans le récit même. Le choix de personnages occidentalisés qui maîtrisent la langue et la culture anglaises fait partie de cette stratégie de séduction du lecteur occidental. Cette capacité à paraître anglais leur donne le droit à la parole et ce droit s’étend à la nation qu’ils représentent (‘How can the Egyptians govern themselves, people ask, when they cannot speak for themselves ?’(AS ML 199)).
Si dans un premier temps la visée est très nettement anti-impérialiste, la question de la Palestine remplit rapidement l’espace textuel :
‘ The world is indifferent to Palestinian pain, but the people of the nations who have allowed such injustice must know what they have done. (YZ BDG 86) ’A nouveau le choix des personnages ne répond pas uniquement à une question esthétique. L’idéologie affleure:
‘ [Rayya] symbolized for me the uprooted, the exiled, the oppressed. (YZ BDG 133) ’Le personnage d’Anwar Barradi (EA LP), paralysé, aphasique, symbolise mieux qu’un long discours politique, la Palestine incapable de réagir à la catastrophe et réduite au silence. Traitée sur le mode de la dérision, l’irruption des réfugiés palestiniens au Lebanon Paradise qui modifie l’équilibre établi est une métaphore de la déstabilisation du monde arabe à la suite de l’exil des Palestiniens
Ces personnages métaphores sont associés à d’autres personnages qui complètent leur discours à destination de l’Autre : Jennie Haydon la journaliste (EA LP 77) ou Mr Foster le narrateur du récit-cadre (YZ BDG) ajoutent un commentaire qui explicite, de manière redondante, le message dont sont porteurs les personnages du récit.
Ce dispositif se justifie par le sentiment qu’il existe un déséquilibre entre la propagande sioniste et la connaissance des problèmes des Arabes en Occident :
‘ If the Jews don’t govern England and America […] why do the English and the Americans want to give them Palestine ?Aucun espace de parole n’est accordé aux Arabes, ainsi que l’illustre la pièce de Khalid Kishtainy sur le baril qu’un Arabe et son fils et une juive se disputent sans pouvoir dialoguer puisque la fille accapare la parole (‘You never allowed anyone to have a word. You ask me a question and stop me from answering it.’ (KK B 27)). Silence sur les uns, envahissement de l’espace de parole par les autres (AS IES 384) : les écrivains arabes d’expression anglaise tentent de rééquilibrer ce déficit de publicité (‘a question of publicity’ (AS IES 384)). Contrairement à la littérature de combat d’expression arabe où les Israéliens tiennent une place importante 1252 , peu de personnages israéliens sont mis en scène ici, à l’exception des pièces satiriques de Khalid Kishtainy et de Amin Bakir. Le(s) point(s) de vue arabe(s) sur le conflit est/sont largement exposé(s) et l’on représente plus volontiers les conséquences du conflit sur les individus et le tissu familial et social, en pointant chaque fois la responsabilité occidentale soit dans son origine soit dans sa perpétuation. Dans ces textes de fiction d’expression anglaise, les Arabes sont autant victimes des Occidentaux que des Israéliens.
voir Ballas, Shimon. La littérature arabe et le conflit au Proche-Orient (1948-1973).