c – Suspect.

‘The magnificent and barbaric ceremonial of the East (EA EFE 140)’

Cette formule, avec la contradiction implicite entre magnificent  et barbaric , résume l’ambivalence de la position du Native Informant  qui hésite entre admiration pour son univers d’origine et dépréciation par imitation des Occidentaux, ses maîtres qu’il admire. Cette formule résume à elle seule l’impossible objectivité de l’écrivain arabe d’expression anglaise lorsqu’il tente d’exposer les problèmes du monde arabe au lecteur occidental.

L’effort d’objectivité est réel mais les failles du texte révèlent des traces de son échec de la même manière que Mahmoud ne peut faire disparaître son arabité :

He wished he could keep his voice under control when arguing, that Arabic, as he and Amin spoke it, did not always sound like an unseemly brawl. He had often tried to modify this characteristic which boomed its alienness in England so blatantly ; but he just could not, except in the all-too-brief moments of conscious effort. (EA BV 27)

Le problème pour ces sujets composites est de savoir d’où ils parlent. L’entre-deux où ils se situent n’est pas un point fixe équidistant des deux pôles culturels et idéologiques auxquels ils se réfèrent. Cet entre-deux est fluctuant et les autorise, ou plutôt les oblige, à des modifications, des ajustements de point de vue :

You’re always sitting on the fence, saying “ from HER point of view”  and “in HIS terms”. What about YOUR point of view? You’ll have to come down on one side some time. (AS IES 401)

Leur bi-appartenance leur interdit a priori tout cadre préexistant (‘He walks around with this ready-made framework and he’s always trying to fit everything into it.(AS IES 421)). Il existe de nombreux exemples où plusieurs positions idéologiques sont exposées, plusieurs hypothèses développées (AS ML505-506). Amin Rihani dans The Book of Khalid renvoie Orient et Occident dos à dos, semblant n’en privilégier aucun : il démystifie l’Occident idéal et fustige les Ottomans. Saïd K. Aburish avec Daoud expose aussi bien les manipulations occidentales que celles des Arabes (SKA OD80), prétendant demeurer totalement imperméable aux vues des uns et des autres :

I am not defending the American position. I am only a messenger acting for us. I am relaying the answer I received. I am not justifying it. (SKA OD 147)

Avec des comparaisons ironiques, Ahdaf Soueif tente de rétablir un équilibre entre les deux nations qu’elle habite / qui l’habitent :

Strange how the Thames seems almost incidental here – incidental to London, even, let alone the whole of England well, it is incidental, isn’t it ? It doesn’t feed the whole country : “ Great Britain is the gift of the Thames!”. If it were to dry up, how many people would be affected? And yet, standing here seeing just this one section of it, it seems every bit as important, as mighty, as the Nile. Well, it probably is to the people who work on it. (AS IES 511)

De la même façon, le problème des juifs égyptiens orientaux est traité avec de grands efforts d’objectivité (WG BSC  ; NS OH  ; et même KK. B malgré la dérision)

La mosaïque de personnages qui explorent les différents aspects d’une situation pour donner l’illusion d’une objectivité est pourtant tendancieuse. A y regarder de plus près, on s’aperçoit que, pour la plupart, les personnages sont soit occidentalisés, soit occidentaux. Dans ces romans, on compte peu d’Arabes qui ne soient pas confrontés à l’Occident directement ou indirectement. Même l’oncle campagnard de Ram est membre d’une famille largement occidentalisée avec qui il entretient des relations régulières à la ville (WG BSC ). Le qadi Abu Khalid malgré ses protestations d’attachement indéfectible à ses traditions d’origine, n’est pas exempt d’influences occidentales par sa confrontation quotidienne avec les représentants des puissances occidentales (NS QFT). Ce sont pour la plupart des urbains – alors que les romans rédigés en langue arabe favorisent la ruralité.

Les personnages occidentalisés sont, comme leurs auteurs, le produit d’une formation et d’une éducation occidentales. Asya, dès son enfance, suit ses parents en Angleterre où elle retourne plus tard pour écrire sa thèse. (AS IES). Violette Batruni est soumise au monde occidental par ses parents (EA LP). On a vu auparavant comment certains de ces personnages en arrivent à ne plus savoir qu’ils appartiennent au monde arabe (RA SS  ; WG BSC ). Il semble que les auteurs éprouvent une réelle difficulté à représenter d’authentiques – si cet adjectif a quelque pertinence ici – Arabes. Si, comme on l’a signalé, ils s’appuient fortement sur leur expérience, la coupure entre la frange cosmopolite de la population proche-orientale et le reste de la population est inévitable. En conséquence, certains personnages non occidentalisés sont présentés de façon assez caricaturale. Badriya, (EA BV), par exemple, dans son refus de l’Occident dans son ensemble, ne bénéficie pas du traitement nuancé ni de l’empathie que l’auteur accorde à ses autres personnages. Faris Deeb (EA DM) ou encore l’oncle de la campagne de Ram (WG BSC ) sont montrés sous les traits de paysans niais qui succombent aux tentations de la ville.

Malgré un discours en apparence équilibré, l’Occident et les Occidentaux sont la plupart du temps montrés sous un jour positif. Parce qu’il a choisi la langue anglaise, l’écrivain arabe d’expression anglaise semble éprouver de la difficulté à prendre ses distances par rapport à l’idéologie occidentale qu’elle véhicule :

You see life through a foreign phraseology which makes you incapable of seeing anything the way others do. (JIJ HNS 165)’

Ce penchant marqué pour le point de vue occidental est souvent reproché aux personnages occidentalisés (EA BV 212-213). L’expression d’un je  en anglais le conduit à adopter un point de vue sinon anglais du moins occidental – voire occidentalo-chrétien. Quelques lapsus crèvent la surface d’objectivité. Ainsi, lorsque Badriya est évoquée, peut-on lire ‘in girls of her race’  (EA BV 31). Ailleurs, c’est le musulman qui est rejeté sur les bords : ’although Moslem’ (JIJ HNS 165). On perçoit un racisme latent qui se montre, peut-être plus nettement, dans une description élogieuse de Tareq où son assimilation aux critères esthétiques occidentaux perd tout son impact positif avec le dernier détail qui le renvoie à l’animalité, à la place habituelle du non-sujet réservée aux indigènes :

He’d inherited his mother’s classic profile, it’s strange how Hellenistic features have lasted on this coast. They coarsen fast but they’re so lovely while they last. Except for curly lips, like a horse’s arse. (SA L 24)

Chez Ahdaf Soueif, Asya franchit un pas supplémentaire : en prétendant dénoncer les idées reçues préjudiciables aux Arabes, elle les intègre et les justifie :

“ These Arabs” , they must be thinking. “ You get one bloke ill – and his extended family has to all come along with him. Well, it’s sort of true. And now Lateefa, Asya’s mother is on her way too… (AS IES 19)

Certains personnages sont érigés en héros, en modèles, auxquels s’identifient d’autres personnages. Ceux qui sont ainsi idéalisés sont occidentaux : Betty Corfield, (EA BV), Jennie Haydon (EA LP), Anna Winterbourne (AS ML ).. Ces personnages idéalisés montrent une grande capacité d’ouverture à l’Autre, d’acceptation de l’Autre, et d’adaptation à l’Autre et à son milieu. Militante, journaliste… ces femmes franchissent les limites qui sont les leurs. Leur féminité accentue leur idéalisation – sans tomber dans le stéréotype, le rôle de la femme de la société orientale ne peut prétendre égaler celui de la femme occidentale. Le fait que ce soient des femmes occidentales avalise l’infériorité du Proche-Oriental. Que des écrivains, pour la plupart masculins, élèvent au rang de modèle ces femmes se lit comme un double aveu de leur infériorité : inférieurs aux Occidentaux, ils se rangent en dessous d’une catégorie inférieure parmi les Occidentaux. La capacité de ces personnages phares à sortir du cadre traditionnel auquel ils sont censés appartenir exprime chez ceux qui les créent, comme chez ceux qui s’y identifient, le désir de sortir de leur propre cadre. Lorsque Violette Batruni s’identifie à Jennie Haydon et lui envie les vastes espaces ouverts qu’elle parcourt (EA LP 14), on peut comprendre que le désir de Violette de quitter son jardin (métaphore du milieu familial) exprime celui du sujet écrivant de quitter un lieu clos qui l’étouffe (l’enfermement est un thème récurrent de cette littérature). De la même façon si Betty Corfield est entourée d’une telle aura, c’est pour sa liberté de parole. Elle peut critiquer le colonialisme britannique avec véhémence sans crainte de répression, au contraire de son époux indigène qui doit avoir recours à la peinture pour exprimer quelque chose de la souffrance qu’il éprouve devant l’injustice faite à ses concitoyens.

Turning round, she saw Amin’s half-finished melon slice and felt a sharp impatience with art, with Amin’s and Mahmoud’s Oxford dilettantism, when their first duty was to free their country from colonial oppression.(EA BV 95)’

L’écrivain arabe d’expression anglaise se trouve dans la position d’Amin, contraint d’utiliser un discours métaphorique pour faire entendre sa voie critique. En fait, y est-il réellement contraint ? N’est-ce pas un nouvel aveu de son incapacité ou de son manque de désir inconscient de prendre position contre l’Occident ?

En effet, lorsqu’un personnage proche-oriental est idéalisé, comme Musa Canaan, n’est-il pas copié sur le modèle britannique ? De son apparence physique et vestimentaire (EA LP 75) à sa gestion du camp de réfugiés (EA LP 74 ; 93), tout respire l’ordre britannique par opposition au chaos arabe. Musa Canaan, à plus d’un titre, est un double de William Carter de Black Vanguard. Sharif al Baroudi, l’époux d’Anna Winterbourne (AS ML ) représente également un modèle romantique – orientaliste – conforme à un certain idéal occidental.

Les personnages principaux dans leur ensemble, adoptent une attitude consensuelle. Ce sont ceux qui cherchent un équilibre entre les forces en présence, ou ceux qui évoluent vers une reconnaissance de l’Autre. S’ils défendent des positions extrêmes, ils sont condamnés à échouer ou disparaître du texte. Badriya qui occupe une large place dans l’espace narratif au début du roman en est quasiment évacuée quand son inaptitude au changement est démontrée (EA BV). Ram frustre son cousin Mounir de sa victoire, c’est-à-dire de son mariage (WG BSC). Plus remarquable encore l’échec final du Napoléon anglais qui s’est retourné contre l’Angleterre qui lui avait donné sa chance. D’ailleurs si le récit semble pouvoir recommencer éternellement grâce à sa forme cyclique, Napoléon est privé de parole par Clio dans une conclusion en forme de post-scriptum (EA EFE 192).

Consensuels certes, mais avec des préjugés favorables à l’Occident. Malgré une condamnation de l’impérialisme occidental et du colonialisme, il n’est pas rare de rencontrer des tentatives de les justifier. Lorsqu’un Anglais tue un paysan indigène, Mahmoud montre comment le contexte exacerbe les tensions et les conduit à des issues dramatiques :

How can you expect this Rosslyn to feel about a worker on a farm here as he would about an Englishman ? Worlds of reality still divide them; worlds not of his making. […] It’s very cruel luck for one individual in this set up to find himself responsible for homicide just because he lost his temper and pushed his boot into somebody. […] It isn’t really a question of English and native; it’s a question of the abstract and the concrete. Betty didn’t see this chap. She’s only thinking of him as a symbol, thinking in concepts : he’s British, he’s an arrogant imperialist!… But I saw him, scared stiff and pitiable. (EA BV 196-197)

Mahmoud cherche le sujet et non le type (symbol) comme le fait Betty, l’Anglaise militante. Dans son désir d’être reconnu comme sujet individuel, le colonisé donne l’exemple. Nabil Saleh va plus loin lorsqu’il analyse les motivations des différents personnages dans son roman sur la France pétainiste, Open House. Sans condamner ni justifier, il cherche une explication aux différents comportements. Soraya Antonius montre des Anglais de base aussi peu informés que les villageois arabes qui ne comprennent pas le véritable enjeu politique de ce qui se passe autour d’eux, ce qui est une façon de les innocenter.

Si l’impérialisme occidental dans son ensemble est condamné, on ne lit jamais une condamnation claire de l’Empire britannique :

He is moved to a tirade against the Empire – or rather the spirit of the Empire, for he is angered equally by the doings of Kitchener in South Africa, the King of the Belgians in the Congo, the Americans in the Filipines and all the nations of Europe in China. (AS ML 39)

Cette condamnation globale rejoint l’opposition type/individu qui critique tout en justifiant. D’ailleurs un peu plus loin dans le même roman, une restriction à une critique de la présence britannique en Egypte a pour effet de nier pratiquement tout ce qui la précède :

…Then the honourable thing is to pack up and go – retaining perhaps an advisory role in economic matters – which I think the Egyptians themselves would wish. (AS ML 247)

Ce discours anti-impérialiste ne manque pas de perversité puisqu’il est mis dans la bouche d’Anglais (Anna et son beau-père) qui, une nouvelle fois, volent la parole aux Egyptiens (I think) en y substituant leur propre appréciation qui fait Loi.

Ameen Rihani atteint un paroxysme dans les atermoiements lorsque le narrateur critique le système éducatif occidental (AR BK 70) pour proposer un système alternatif, à la Rousseau (AR BK71) c’est-à-dire toujours occidental, le tout agrémenté de parenthèses qui rejettent la paternité de ces critiques sur un autre  (‘Remember, we are translating from the khedivial library MS.’)  (AR BK 70)). Le poids de la dette (EA EFE 28) envers le maître occidental ressort de ces glissements qui visent à disculper celui qui a donné à ces auteurs une langue et une culture. Asya exprime longuement comment et pourquoi elle ne pourra jamais s’acquitter de cette dette :

… Because of your Empire sir, a middle-aged spinster from Manchester came out to Egypt in the 1930s to teach English. A small, untidy twelve-year-old girl fell in love with her and lived and breathed English literature from that day on. […] Is it a sinister, insidious colonialism implanted in her very soul; a form of colonialism that no rebellion can mitigate and no treaty bring to an end. (AS IES 512)

Paradoxalement, alors que l’Empire britannique se veut rigide, pratique, distant, dénué de toute forme d’affectivité, on sent un élan d’affection à l’égard d’un vieux parent sur le déclin de la part de ceux qui ont été formés par lui :

Why then does she not find it in her heart to feel resentment or bitterness or anything but aDMiration for and pleasure in the beauty, the graciousness, the harmony of this scene ? Is it because the action is all in the past; because this is an “empire in decline” […] Or is it because the thoughts, the words, the poetry that wound their way down the years in parallel with the fortunes of the Empire have touched her so nearly and pulled her in so close that she feels herself a part of all this? (AS IES 512)

S’opposent et se contredisent donc l’intellect et l’affectivité; en résulte une ambiguïté du discours soi-disant anticolonial.

Si anticolonialisme il y a, il est sélectif. L’Angleterre s’en tire mieux que la France, son ennemie traditionnelle (EA EFE 21), voire que les Etats-Unis. Le clivage Angleterre/France remonte, chez ces écrivains, à leur éducation. On se souvient comment à Victoria College, on inculquait aux élèves cet antagonisme. The Eagle Flies From England avec son Napoléon anglais offre évidemment un terrain de prédilection pour cet affrontement. Les exemples où la France est montrée du doigt alors que l’Angleterre est exaltée abondent :

What chance would Napoleone have had on a little island like that, under the tyrannical rule of the French ? England is a great and free country. […] It is the heart of a great empire; the avenues of advancement in it are unlimited. (EA EFE 31-32)’

La présence anglaise offre la garantie d’une ascension, d’une amélioration alors que la France l’empêche. Les auteurs endossent plus ou moins consciemment le discours dominant des Britanniques contre leurs concurrents. Récupérer Napoléon pour en faire le porte-flambeau des immigrés de la seconde génération (EA EFE 15-16) et montrer sa marche triomphale vers la constitution d’un empire qui s’étend à l’ensemble d’un bloc continental est, en soi, l’éloge de l’entreprise impérialiste. L’échec de Napoléon est consumé au moment où il ne travaille plus pour la gloire de l’Empire mais pour sa propre gloire. L’Empire n’accorde la parole qu’à ceux qui prennent fait et cause pour lui.

Les Etats-Unis, arrivés plus récemment sur la scène du Proche-Orient, suscitent une certaine inquiétude, celle de l’inconnu :

He liked the Brits and things British because he knew what they stood for and that contrasted with his feelings towards the Americans – what he called boisterous uncertainty’ . (SKA OD 51)’

L’isolement britannique dans ses enclos coloniaux devient un art de vie lorsqu’il est comparé à la menace que représente l’Amérique :

…beyond it the gracious lines of the British embassy and beyond that the fortress of the American embassy in the heart of Garden City. (AS ML338)’

Par comparaison, l’influence et la présence anglaises apparaissent comme un moindre mal.

La litote est utilisée pour un fait ponctuel, comme le meurtre du paysan égyptien par l’Anglais : ’he was conscious immediately of the awkward political implications of this horrible business’ (EA BV 191). Les comparaisons avec la France et les Etats-Unis agissent comme des litotes et minimisent la responsabilité anglaise.

Il arrive que le point de vue arabe soit mis en avant. Cependant, la plupart du temps, il faut le lire dans un contexte politique britannique qui fait de la défense du Proche-Orient un point abstrait, un cas d’école :

With English personalities as a nucleus, they circle round and round, unaware that it is the Middle East they are discussing and not the United Kingdom.(WG BSC34)’

La défense du Proche-Orient n’est qu’un élément infime dans un débat dont l’enjeu est la victoire d’un parti britannique sur un autre :

Symbolically, she was the deputy of the Socialist Club assaulting Toryism, the City and Mr Chamberlain. (EA BV 157)’

Au-delà du débat politique intérieur, on débouche sur le débat Est-Ouest, importé de manière impertinente dans la discussion sur les agissements anglais en Palestine. Des échos anachroniques de l’idéologie de la guerre froide s’insinuent dans l’argumentation :

… a vile lie put around by irreverent and godless liars, who had seized power, by force and without any right to it, and who had even killed the Sultan of Russia and his wife and daughters. (SA L30)’

L’anti-soviétisme des années 1960 surgit dans les affaires des années 1930, nouvel indice que le centre d’intérêt est l’Occident plutôt que le Proche-Orient.

Si un point de vue critique est énoncé, il est teinté d’ironie. Le père de Mahmoud, avec candeur, exprime un certain nombre de jugements négatifs sur l’Angleterre et les Anglais :

 “I can’t tell you what a great impression your country has made on me. […]. That leaves you no excuse, no excuse whatever. […] For wanting to grab half the world, instead of being contented with what God has given you. […] You English are a very voracious people! I shall forgive you if you honour your word and leave our country when it can stand on its own feet, as you say you will. But God help you if you don’t, and I’m still alive. I should either fight you to the death or better still, come here and colonise a little bit of England myself.”
He walked, laughing, to the door.
[…]
“May God exterminate this tasteless food of the infidels,” he grumbled. Then he added, finding consolation, “No, … let it be. This is our only superiority over them. This and our faith in the Prophet and the Last Day.” He smiled and pushed the plate away.
(EA BV 50-51)’

Seul l’humour permettrait de dire la vérité en toute impunité. Khalid Kishtainy fait usage de ce procédé dans son théâtre. Mais le discours critique perd son impact à cause de la touche humoristique apportée par la deuxième phrase (colonise a little bit of England myself) et l’enchaînement sur la trivialité de la nourriture. La dévaluation de ce discours anticolonial est accentuée par le fait qu’il est prononcé par sheikh Ahmed, patriarche réduit à l’état d’enfant dans un pays dont il ignore tout et où son fils le prend en charge, comme on l’a souligné auparavant. De son pays où sa position est reconnue, ce discours aurait eu une légimité qu’il perd quand sheikh Ahmed est destitué de son statut de père.

Cette invalidité du discours anticolonial, ou antibritannique, ressort clairement dans The Map of Love . Qui dénonce la barbarie de la guerre coloniale au Soudan ? Le mari d’Anna, malade mental (AS MLchp. 3-4). Qui dénonce les mensonges de la politique coloniale anglaise en Orient ? Anna Winterbourne, une femme (AS ML ). C’est-à-dire deux paroles qui n’ont aucune valeur puisque leur énonciateur n’a pas le statut de sujet. De ce fait, ceci décrédibilise leur discours.

L’écrivain arabe d’expression anglaise se trouve dans cette triple position de non-sujet (on a montré comment la quête autobiographique était une tentative d’accéder au statut de sujet), de malade (rappelons la problématique du corps souffrant, métaphore du sujet en souffrance) et de femme (on verra comment il se trouve dans la même position d’exclusion et d’enfermement que la femme). Quelle valeur peut-on et doit-on accorder à ces critiques dont on vient de montrer l’ambivalence ? D’autant qu’il se trouve dans une situation ambiguë lorsqu’il défend le point de vue arabe, de la même façon que lorsqu’il défend la femme. On rencontre, dans ces textes, de nombreux exemples où la libération de la femme est prônée par des hommes, soit qu’il s’agisse de l’auteur, du narrateur ou d’un personnage. Ainsi Mahmoud part-il en guerre contre la tradition et refuse son échec avec Badriya :

Our boys have a reasonable chance without English governesses or going abroad. But you got to do all this for a girl if you want to save her from our environment, and I am determined to save my daughter… I’ve lost one battle, but I’m not going to lose the other. (EA BV 238)’

Le narrateur de Donkey from the Mountain ou celui de la nouvelle ‘Wedding Song’  (RS NI 35-54) se posent en porte-parole de ces femmes opprimées. Aucun auteur masculin de ce corpus ne défend de thèse sexiste mais tous substituent leur discours à celui de la femme. Que savent-ils de la femme ? D’où parlent-ils ? ’Wedding Song’  utilise la focalisation interne (alors que les récits écrits par Ahdaf Soueif sont pour la plupart en focalisation externe). De la même façon que leur discours anti-colonial est ambivalent, celui qu’ils tiennent sur la femme demeure trouble. Mais que dire lorsque Yasmin Zahran pousse le jeu encore plus loin : auteur femme, elle fait rapporter à un narrateur masculin le discours de Rayya qui, en plus, est souvent cité par Alex : la parole de la femme se dissout-elle dans cette polyphonie ?

‘Treat your country as you treat your woman’ (KK CAB 55), proclame un des personages de Checkpoint Allenby Bridge . Les écrivains arabes d’expression anglaise pratiquent cette égalité de traitement, c’est-à-dire qu’ils se substituent aux individus directement concernés par les problèmes qu’ils évoquent. En tant qu’occidentalisés, ils n’ont qu’un rapport indirect avec le vécu du Proche-Orient, ce qui se manifeste dans les romans par un exil temporaire des personnages qui ne vivent certains événements que dans le récit que d’autres leur en font. Par une série de mises en abyme, les écrivains expriment leur éloignement de la réalité proche-orientale qui sert de base à leur argumentation idéologique. Ainsi, dans The Map of Love , la guerre du Soudan est-elle filtrée : le récit du narrateur, à la troisième personne inclut le récit d’Amal à la première personne, et à la troisième personne lorsqu’il touche à Anna Winterbourne; ce récit d’Amal inclut le récit d’Anna à la première personne qui rapporte des conversations ou des bribes d’informations elles-mêmes indirectes. Déréalisation et désengagement du sujet s’ensuivent. Si on le compare au roman de Jamal Mahjoub, The Hour Of Signs, qui place ses personnages au cœur même de l’action, l’impact idéologique est totalement différent. De la même façon si l’on met en parallèle Black Vanguard et Season Of Migration to the North de Tayeb Salih, on constate deux approches d’une même problématique dont les effets sur le lecteur sont très éloignés. On ne peut pas dire que le choix de la langue soit le seul facteur de cette différence puisque Jamal Mahjoub écrit également en anglais. Le point de référence culturel n’est pas le même : pour Tayeb Salih et Jamal Mahjoub, l’ancrage est profondément oriental. Les Occidentaux eux-mêmes, s’ils participent à l’action du roman, demeurent extérieurs au système de référence. On ne trouve pas dans ces deux romans le glissement d’un point de vue à un autre, le jeu d’équilibre constant auquel se livrent les écrivains arabes d’expression anglaise. Ils écrivent d’un lieu unique, d’une voix une, alors que les auteurs de ce corpus sont tiraillés entre les lieux et les système de référence. Serviteurs de deux maîtres, ils s’égarent parfois dans les demandes imbriquées de l’un et de l’autre et commettent des gaffes (‘blunder’ (WG BSC 128)). L’humour est un des procédés qu’ils utilisent pour les récupérer. A moins qu’ils n’oublient quelquefois qu’ils sont censés connaître l’Orient autrement qu’à travers le prisme orientaliste. Ahdaf Soueif illustre cette tendance : qu’Anna, l’anglaise, considère et juge l’Egypte qui l’a accueillie à partir des tableaux de Frederick Lewis (AS ML 27; 40; 101) a une certaine logique qui ne devrait plus avoir cours avec Asya, l’Egyptienne, qui pourtant envisage le harem classique comme un tableau de Delacroix :

If this had been a Delacroix, now, you would have had Clara leaning over to paint Mandy  s toenails, while Mandy lay back, eyes dreamy, lips half parted, one hand lazily extended to toy with the red tresses that flowed over Clara’s smouth, creamy shoulders…(AS IES 716)’

Malgré l’atténuation de l’hypothétique (if…you would have had), il n’empêche que la représentation du harem n’est ni directe, ni inspirée d’une tradition arabe. L’écrivain arabe d’expression anglaise éprouve de la difficulté à se démarquer des modèles occidentaux, qu’ils soient esthétiques ou idéologiques – ce qui revient au même (AS IES 512). Il n’échappe pas aux stéréotypes de ses confrères anglo-saxons.