b – Non-sujet.

Parce qu’ils sont corrompus et divisés, les états arabes sont incapables d’évoluer. Presque tous les romans mettent en scène une bourgeoisie réactionnaire imperméable à tout changement (WG BSC ; AS IES; JIJ HNS). Non seulement rien ne change (‘I was annoyed that all these people hadn’t been dealt a heavy blow by the revolution […] They still live in the style they were accustomed to.’(WG BSC28), mais ceux qui se sont emparés du pouvoir ont pris les habitudes de ceux qu’ils ont chassés : ainsi les militaires de la Révolution égyptienne ont-ils intégré le Guezira Sporting Club qu’ils pourfendaient auparavant (WG BSC127-143). Les textes donnent le sentiment d’une répétition infinie, comme un disque rayé qui ne parvient pas à débloquer la piste suivante :

What have you been doing ? […] Nothing’. […] Her work lay undisturbed. Sadat went to Washington. Hussein went to Washington. Rabin resigned. Podgorny fell and Brezhnev came to power. The miners grew restless and Rosselini died and she was moving between that ridiculous small bed, the drab bathroom and the gagging armchair and waiting. (AS IES 650)

L’actualité patine et rétrécit le champ de perspectives : tout est équivalent de tout donc, rien ne peut changer. Tout a déjà été proposé (‘your programme now is the same that Mahmoud Sami al-Baroudi’s government tried to establish more than a hundred years ago’ (AS ML 227)), donc tout renouvellement est impossible. D’ailleurs, le passage d’un régime colonial à un régime local n’apporte aucune amélioration :

… after the second world war, with the euphoria of independence from the physically present foreigner and before the indigenous ruler grew to understand that his power was for real and could be used to control, to imprison, to maim intellectually and physically. (SA L 11)

Tous les tyrans se ressemblent d’ailleurs et il est impossible de les identifier individuellement :

When Barazan almost ran over an innocent pedestrian, I wondered how many official cars were recognized by the Baghdad populace, how many times a day the speeding black symbols of authority reminded people of what kind of government they had. (SKA OD 89)

Pouvoir statufié, pétrifié, ils représentent une perversion de la Loi et par là, exercent une répression sur toute forme de changement. ’A government is a jail keeper, a prison guard’(EAd LCT 160). De nombreuses scènes de répression violente (JIJ HNS132-135; AS IES 103-4 …) sont résumées en ces quelques vers :

We stand alone.
Armored vehicles gather
the young in deadly
harvest. (EAd INH
69)

Ces manifestations diverses contre les pouvoirs répressifs sont l’espace de parole dénié par les tyrans, espace de mouvement, de vie selon la formule de Waguih Ghali : ‘strikes, fighting policemen, shouting slogan […], life at last.’  (WG BSC70).

Incapables d’évoluer parce qu’ils sont crispés sur leur parcelle de pouvoir, les gouvernements locaux sont pour la plupart inféodés à des étrangers, comme le démontre One Day I Will Tell You . Chassés, les coloniaux reviennent de manière occulte, finançant les gouvernements (AS IES 611) ou achetant les économies locales (AS ML101) ; ils créent une dépendance plus insidieuse que celle des politiques, contre laquelle les pouvoirs locaux ne peuvent rien. Dépendant du bon vouloir des Occidentaux, les gouvernements locaux n’ont pas le droit à la parole.

Ces éléments d’immobilisme rappellent le statut de non-sujet de l’individu incapable de se défaire de la tutelle de ses maîtres. Les états arabes sont présentés dans une situation similaire – entre les faux pères arabes (les tyrans) et les mauvais pères étrangers qui refusent de laisser leurs pupilles voler de leurs propres ailes.

On remarque donc comment les écrivains arabes d’expression anglaise rendent compte de leur insatisfaction à l’égard de la politique arabe, en trouvant dans le macrocosme politique, un écho de leur propre manque à être. L’incapacité à évoluer de ces gouvernements correspond à leurs propres atermoiements dans l’entre-deux où ils masquent leur errance. L’aveu de défaite au niveau politique (‘living here is an act of submission to the worst’ (EAd OCW 101-103)) doit-il être lu comme un aveu d’échec individuel du sujet?