2 – Un tableau noir.

[He] delivers ideas to you and doesn’t give a damn what you think about them, as though you were a blackboard. (RA SS137)’

L’histoire du Proche-Orient aurait donc disparu, ou elle aurait été mise au second plan. Qu’on ne s’y trompe pas, le vêtement traditionnel, quand il subsiste, n’est qu’un faux : ’Imad Beg […] was wearing a voluminous brown cloak under which, whenever he moved his arms, I could see his European clothes’  (JIJ HNS 70). Tout comme l’orientalisme n’est qu’une surface dénuée de toute vérité, ce vêtement n’est qu’un leurre : il cèle une occidentalisation accompagnée d’une négation de la culture d’origine en même temps que de son ignorance. Qu’il s’agisse de la toile blanche du peintre orientaliste ou du tableau noir du maître d’école occidental, aucune ne correspond au modèle réel.

Lorsque le maître occidental enseigne sa propre histoire, il la tronque sciemment afin d’éviter tout rapprochement avec l’histoire contemporaine :

We were careful in the subjects chosen – nothing about the Stuarts for instance; talk of armed rebellion against authority, the killing of kings, was not a good idea. (SA L23)’

Accusant l’Oriental de ne pas penser (‘For heaven’s sake think for yourself!’ (SA L 23)), l’Occidental fait, en même temps, tout ce qui est en son pouvoir pour l’en empêcher. Refusant de lui transmettre tout modèle occidental dont l’usage pourrait se révéler subversif, il lui refuse également tout recours à un modèle oriental, ce qui conduit les Orientaux à une ignorance totale de leur histoire : ’How can they be so ignorant of so glorious a past?’  (CG BP 258). A force d’être occultée, cette histoire en vient à être méprisée (‘ridiculous and insulting attitude towards their country’ (RA SS 107)). Elle devient objet de honte (‘I always thought the sherwal terribly obscene, wonder if Freud ever saw one’ (RA SS 107)) et stigmatise l’infériorité des Orientaux (‘those funny little Orientals in their bloomers’ (RA SS107)).

Le problème se pose donc de la transmission d’une histoire inexistante parce que niée ou au mieux, existante mais attribuée à d’autres (‘Even blatantly Phoenician and Punic inventions like the alphabet and stoicism were passed off by the Romans as Athenian and Spartan’(CG BP 203)). Certains adoptent une attitude de quasi-indifférence : ’I have tried not to weigh down my sons with our history’ (AS ML344-345), ce qui correspond à la solution de compromis, d’entre-deux. D’autres affirment, de manière militante, la nécessité fondamentale de se réapproprier leur histoire, afin de la transmettre, afin de se retrouver dans une chaîne signifiante : ’when we have our knowledge, then we can give it and others will trust our learning’  (SA L23). Devant des statues martelées, émasculées et défigurées (‘His face and his genitals had been obliterated as if by the fine strokes of a chisel’(AS IES 742)), les Proche-Orientaux doivent affronter un passé stérilisé et stérile et une absence d’identité. En l’absence de modèles ancestraux auxquels s’identifier, ils sont contraints de se tourner vers les modèles dévoyés que leur tendent les Occidentaux. A moins de se réapproprier leur histoire.