b – Traces.

Malgré leurs efforts pour faire disparaître les traces du passé, les acteurs du présent impriment les leurs avec constance et continuité :

When the Assyrian army crossed the river, it represented such a remarkable feat that Asserhaddoun had a stela erected to mark the event. Unwittingly, he started a trend. […] Historical interest aside, the rock-face by Dog River resembles a wall in a public lavatory : “I was here” conjugated in a host of scripts and languages, both living and dead.(CG BP346)’

Les contemporains d’un événement s’attachent à en fixer la mémoire par une inscription physique de peur que la trace n’en soit perdue ou le souvenir altéré. Malgré l’immobilisme invoqué par les uns et par les autres, tout est en perpétuel mouvement et la trace des uns tente d’oblitérer celle des autres, surtout dans des histoires coloniales. Les toponymes sont modifiés pour entériner la prédominance du nouvel occupant mais la résistance maintient les anciens noms (‘Hassan Pasha Sabri Street (Brazil Street now, but everybody still calls it by its old name).’ (AS IES 34)). La résistance au changement n’est pas nécessairement politique, elle peut être esthétique (‘Midan el-Opera […] is now a gigantic car-park. […] It’s the old pinball versus poetry argument all over again.’(AS IES 748-749)) ou bien, il s’agit d’une culpabilité (Johann, l’ancien officier nazi, couvre ses vêtements d’étoiles de David (CG BP 320)). Dans tous les cas, cette résistance au changement exprime surtout une peur de l’altérité. Cet attachement au passé et à ce qu’il représente a pour effet une juxtaposition ou une superposition d’époques, voire de lieux-provenances (on a mentionné le transport des colonnes de Constantinople à Venise (NS O 25). Cette cohabitation assure une continuité :

The Roman miracle consists of the interpretation of ancient spaces in today’s life. Everything is contemporary to the present. History’s various periods have their own place and their own pace. Here, one never encounters the chasms of dead time that we know in Syria and Egypt ; hence the serenity of the inhabitants of Rome who can enjoy a very rave sense of continuity. (EAd OCW 93)

Everything is contemporary to the present. Cette simultanéité renvoie au palimpseste, concept déjà utilisé pour rendre compte des couches d’identité des écrivains arabes d’expression anglaise. Palimpseste entrevu dans les couches superposées de vêtements (JIJ HNS 70) qui laissent paraître une réalité autre que celle de surface.

Lorsqu’il est question du Proche-Orient, l’image du palimpseste est récurrente (‘that tired phrase,  the palimpsest that is Egypt ’’  (AS ML 64) : Alexandrie (AS ML 64), Tyr (AS IES 703), Jbail (CG BP 222 ; NS O )… Couches (‘layer’ (AS ML 120) superposées d’histoire. Seule la couche extérieure se donnerait à lire immédiatement :

The town was a bulb where only the outer skin could be seen. The time flavour came from within…(CG BP222)’

C’est des couches inférieures précédentes que provient cependant le sens qui ne serait perceptible qu’a posteriori. Ahdaf Soueif suggère que l’immobilité du présent est nécessaire pour explorer les couches du passé et en comprendre les articulations :

It is as though the brain were a split screen, one half examining a frozen frame, a moment where time has stopped, the other vaguely registering the continuation of the action; storing up the passing frames for closer inspection later. […] The only way to proceed is by a series of catchings up. You may have an intimation that this is a moment that will merit freezing later – a moment that you will come back to and come back to and come back to – not to think, if only I had turned left instead of right, but to wonder at the fixedness, the immovability of the right turn. How every time you play it back there you are : unseeingly turning right.(AS IES 763)’

Tenter de comprendre son histoire, l’histoire de son pays d’origine, ne consiste pas à vouloir la réécrire (comme le fait Edward Atiyah avec The Eagles Flies from England ou même avec The Crime of Julian Masters ou encore Donkey from the Mountains ) mais à l’accepter comme elle est, pour ce qu’elle est.

La découverte des couches sous-jacentes, oubliées par honte ou ignorance forcée, rend à l’histoire sa continuité interrompue par les ruptures coloniales ou impérialistes. Le palimpseste permet de prendre en compte les paradigmes de l’histoire et une construction syntagmatique en découle. Le colonialisme favorise une lecture paradigmatique de l’histoire puisqu’il exclut, comme on l’a vu auparavant, certains moments de cette histoire. En modifiant la nature de ces périodes dans la grammaire de l’histoire, il en change le sens, forçant les colonisés à se livrer à une quête rétrospective avant de pouvoir entreprendre une démarche prospective.