c – Un imaginaire orientaliste.

L’émigrant arabe arrive en son Amérique, désireux de faire tabula rasa, de son passé […]. Partout, son arabité, souvent reniée, rejetée, effacée, loin d’avoir été abandonnée dans son pays natal, lui colle à la peau […]. Malheureusement, la question de l’origine se pose et se repose :  »  Where are you from?  »
Les réponses inventives sont nombreuses. De la Phénicie peut être! De l’Assyrie martyre, berceau de la civilisation, y compris occidentale! De l’Egypte
chrétienne sous joug islamique! L’Arabo-Américain est très souvent chrétien. Même quand il ne l’est pas, il se trouve rechercher une identité moins dépréciative que celle qu’on lui attribue. 1264

En recherchant et en récupérant leurs racines antiques, les écrivains arabes d’expression anglaise font ressortir leur héritage commun avec l’Occident, au lieu d’insister sur ses différences. En développant longuement cette histoire antique, ils tombent dans le piège de la pseudo-continuité des civilisations, occultant la période islamique. Le Phénicianisme fut, en son temps,une tentative de trouver un terrain consensuel entre chrétiens et musulmans. Le retour aux temps anciens semble un moyen de réconcilier Orientaux et Occidentaux. Pour les écrivains arabes d’expression anglaise ce choix correspondrait à une identification à l’imaginaire orientaliste, écueil qu’ils ne parviennent pas toujours à éviter. Lorsque la mère d’Asya va partir enseigner au Koweit pour des raisons financières, elle lui écrit ces mots :

I will need the Kuwaitis’ money. […] I do not really feel that bad about it – after all, you could see it as continuing a tradition : it was always us Egyptians who educated all those Arabs and civilized them; us and the Levantines… (AS IES 731)

La supériorité culturelle des vieilles civilisations du pourtour méditerranéen sur celles du désert est clairement énoncée. On sait que certaines minorités chrétiennes ont choisi ces références culturelles parce qu’elles les revalorisaient à leurs propres yeux et à ceux des colonisateurs occidentaux. Mais en dehors de tout débat communautariste, cette affirmation rejette une part de la culture égyptienne et libanaise, la part d’altérité par rapport au modèle occidental idéalisé. L’arabité semble tellement peser pour certains qu’ils cherchent à étendre leurs racines dans une autre direction :

“But surely Egyptians ARE African”! Asya says.
“They’re not”, Saif says.
“I thought you were supposed to be Arabs?” Leon says
“But how come? Egypt
is in Africa, isn’t it? ” says Asya. (AS IES 381)

Edward Atiyah avec Black Vanguard avait déjà déplacé le problème vers cet axe qui, de toute manière, n’est guère pertinent que pour l’Egypte et les pays du Maghreb ou le Yémen. Cette tentative de classement différent fait écho à l’entre-deux culturel dans lequel se trouvent les écrivains arabes d’expression anglaise. Il s’agit peut être aussi d’une fuite vers un ailleurs qui permettrait d’échapper à la dichotomie Est-Ouest. Ainsi Ameen Rihani cherche-t-il à allier racines égyptiennes et arabes :

[Antique colour prints] represented some of the heroes of Arabia – Antar, Ali, Saladin, Harûn ar-Rashid- […] in that deliciously ludicrous angular style which is neither Arabic nor Egyptian, but a combination perhaps of both. (AR BK 302)’

Nouvelle quête du consensus peut-être, à moins que le sujet bi-culturel ne refuse d’être amputé d’une partie de lui-même, au demeurant mal définie. Qu’entend-il exactement par Arabia? N’a-t-on pas une nouvelle fois affaire à la confusion entre Arabe  et  Musulman , souvent cause du rejet de la culture arabe par des non-musulmans.

Notes
1264.

Mneimneh, Hassan. ‘L’Amérique des Arabes, rejet et acceptation.’ Qantara. 42(Hiver 2001-2002) : 42.