e – Une histoire métisse.

La culture arabe contemporaine semble […] chercher à se construire en totale rupture avec l’Autre. Il est vrai que dans la culture arabe moderne, l’Autre avait fait l’objet de critiques ou de rejets, mais seulement parce que cet Autre-là était le colonisateur. 1267

A l’inverse de ces Arabes contemporains qui s’affirment dans le rejet de l’Autre, les écrivains arabes d’expression anglaise ne peuvent rejeter ni l’un ni l’autre, puisqu’ils sont partie prenante des deux côtés. Ils cherchent au contraire, à réconcilier les deux cultures, les deux histoires. La rencontre de Richard et de Saladin est un modèle du genre, puisque dans cet affrontement, les deux protagonistes sont grandis par leur valeur mutuelle.

Les écrivains et les textes de ce corpus insistent sur l’échange permanent entre Orient et Occident. Le danger, comme pour Alex et Rayya, serait de demeurer sur des lignes parallèles (‘we moved at parallel levels’ (YZ BDG53)) en évitant tout point de rencontre. La rencontre ne signifie ni mort ni disparition :

Our classical literary patrimony is prestigious, there is no doubt about that. We have in the past even transmitted to the Franks a great heritage they had once possessed and then lost, for the same reasons which are the direct cause of our state of decadence. It is only fair that at a time when we need assistance, from whatever quarter, we turn to the same Franks, who owe us so much. (NS QFT 78)’

Dette mutuelle entretenue au fil des siècles qui assure la vitalité de la culture commune mais aussi de ses variantes, enrichies de ces rencontres prégnantes. Rayya et Alex, malgré ses réticences, comprennent bien ce principe des vases communicants : ce qui est perdu ici se trouve là-bas, d’où leurs voyages répétés autour de la Méditerranée :

In quest of a glimpse of Palestine half-remembered, we wandered around the Mediterranean, and when he saw tears streaming over my face as we passed a terraced rocky landscape[…] he would say, to ease my pain : “we can’t go roaming the world because you need to see a bloody fig tree or a cactus bush!”(YZ BDG 52)’

Rien n’est jamais perdu au point que le terme d’occidentalisation en vient à signifier cet échange permanent :

I can accept the term «  westernized  » if you mean by that the common heritage the Arab world shares with Europe which begins with the Phoenicians, the Greeks and the Romans. The Phoenicians were installed around the Mediterranean, and the Greeks, the Romans and the BYZantines stayed in Syria and Egypt for a thousand years. The Arabs were in Spain and the Crusaders came to Palestine .(YZ BDG39)’

Cependant, si l’on revient sur la tapisserie d’Anna Winterbourne, fruit d’une rencontre entre Orient et Occident, que remarque-ton? Le mélange des périodes pharaonique et arabe correspond à cette quête consensuelle de racines communes et différentes. La tapisserie démantelée redevient un objet unique – si suturé - qui fait sens parce que dans la pièce manquante, rapportée d’Occident, il est question de vie (AS ML 403-491). Cela tendrait-il à suggérer que la vitalité de l’héritage commun dépend de l’Occident? Qu’Isabel soit à l’origine de cette reconstitution aurait un sens identique, surtout si son prénom dérive vraiment de celui de la déesse-mère, Isis : ’Isa Bella : Isis the Beautiful. […] You have the name of the first goddess, the mother of Diana, of all goddeness, the mother of the world’  (AS ML 22) .

La tendance à regarder vers l’Occident demeure ici encore. Même Rayya pourrait retourner son argument (YZ BDG39) et conclure que les Occidentaux sont orientalisés  par ces mêmes échanges. Est-ce parce que l’Occident reconnaît la part orientale de l’héritage commun que celui-ci prend de la valeur aux yeux des Orientaux déformés par leur complexe d’infériorité colonial?

L’interaction, tour à tour fusion, absorption, rejet, conflit n’est féconde 1268 que si les parties en présence ont le même statut pour dialoguer. D’où la nécessité pour l’Arabe de retrouver sa place de sujet de l’histoire, de sujet dans l’histoire.

Notes
1267.

Tarabichi, Georges. ‘L’Autre dans la tradition arabo-musulmane.’Qantara.42(Hiver 2001-2002) : 35.

1268.

Rabbat, Nasser. ‘Le classicisme, version arabe contemporaine.’ 32.