c – Une histoire réécrite.

Lorsqu’Anna voit une inspiration architecturale unique, n’obéit-elle pas à son désir de compromis du fait de sa situation dans l’entre-deux? Ce risque est exprimé dans la recherche étymologique qui est proposée : ’A, l, q : to become attached, to cling, also to become pregnant, to conceive (AS ML 90). En s’attachant à son Egypte d’adoption, elle désire concevoir une nouvelle histoire, fruit de sa rencontre avec l’Autre.

Ameen Rihani (AR BK 20-21) et Etel Adnan (EAd OCW 106) s’interrogent et opposent ce qui est la vérité et ce qui doit être dit. Ameen Rihani considère que l’histoire abordée d’une certaine façon ne serait que fiction (‘his fiction of history’ (AR BK 20)) puisqu’elle est abordée d’un point de vue subjectif.

Il n’est pas rare que l’histoire soit manipulée au service d’une idéologie (EAd OCW 106). Ram, au pied des Pyramides, propose dans ce but  une réécriture de leur histoire: ’had their history been unknown, some Moses or other might well have used them as a sign to some Abraham’ (WG BSC 42). Carl Gibeily et Ameen Rihani réécrivent l’histoire des temples de Baalbek. A partir des mêmes éléments existants, ils proposent deux histoires entièrement différentes. Pourquoi Ahdaf Soueif donne-telle plusieurs versions des conflits israélo-arabes pour n’en retenir qu’une, celle qui est inscrite dans le corps d’Hamid?

L’individu cherche dans l’Histoire des échos de sa propre histoire pour lui donner un sens, pour se donner un sens. Lorsqu’Edward Atiyah réécrit l’histoire de Napoléon, n’est-ce qu’un simple divertissement intellectuel? Si l’on reprend son introduction, plusieurs phrases donnent un éclairage plus profond à cet exercice :

Immediately, the idea of this novel was born. I sat back in my chair, thrilled with excitement and delight. A new planet had swum into my ken; a vast new ocean stretched out before me, enviting fantastic exploration. […] I discussed (with friends) this quaint and tremendous reversal of history. […] I could not see Napoleon […] selling olives and spaghetti! […] A man with Napoleon’s volcanic power […] would have risen to the top in the field of his destiny despite the handicap of an English birth. […] Why only “merely a greater Malborough”? Why not something much greater? Surely, the logic of psychology demanded it, the imagination cried for it. I responded to the cry. (EA EFE 5)

De quoi s’agit-il dans l’histoire telle que la raconte Edward Atiyah? D’un fils d’immigré qui se fait couronner empereur : la revanche d’ immigrés humiliés dans le pays d’accueil comme ils l’étaient dans leur pays d’origine. Revanche en effet (reversal of history) qui porte au sommet du pouvoir (risen to the top) celui qui aurait pu ne demeurer qu’un immigrant stéréotypé (selling olives and spaghetti), incapable de s’arracher à ses racines étrangères. Ceci fait éclater les limites d’une destinée étroite, ouvre l’horizon de l’individu (a new planet, a vast new ocean, stretched out, exploration…) dont on a trop souvent signalé l’enfermement. L’écrivain éprouve, devant ce champ nouveau à explorer, de la jouissance (excitement, delight), une jouissance liée à une certaine souffrance (cry) face à une exigence (demanded), sa propre demande de la reconnaissance de son statut de sujet par l’Autre. C’est d’ailleurs cette accession au statut de sujet, cette affirmation de soi comme sujet de son histoire qui retarde le passage à l’acte d’écriture. Si l’idée l’a séduit aussitôt (immediately), trente-cinq années se sont déroulées avant la naissance du roman, comme le signale la toute première phrase de l’introduction : ’I have lived with this book for some thirty-five years’  (EA EFE 5). La formulation signale le lien étroit entre ce roman de revanche, d’affirmation de soi et le sujet lui-même.

Réécrire l’Histoire consiste à renverser le courant (EA EFE 7 ; 190) de sa propre histoire. Pour l’individu bi-culturel, morcelé, en quête d’un statut, réécrire l’Histoire signifie affirmer qu’il est maître de son histoire, qu’il en est le sujet, qu’il n’est pas bon à reléguer au rayon poussiéreux des antiquités, que ni son présent ni son avenir ne seront volés comme l’a été son passé, qu’il ne laissera pas l’Autre écrire ni faire son histoire à sa place.