1 – De la fiction au réel, de la dérision à la tragédie.

All characters in the book are fictitious, only Palestine is real. (YZ BDG )’ ‘ … a situation that needed no dramatisation (EA LP 39)’ ‘ Any story told in the first person and set in places tragically battling with their destiny is likely to be considered autobiographical. But the author wishes to emphasize that this story, though based on conflict and tragedy authentic to place and epoch is in no way whatsoever a story of his life in Baghdad . (JIJ HNS )’

Comment rendre compte de la Palestine, de la question de Palestine? Elle n’est d’ailleurs pas seule de son genre :

The Indian or Egyptian or Tunisian nationalist, even in the bitterest moments of his struggle against British or French imperialism, was fighting only against a temporary domination, never against dispossession, and he knew it. But the Palestine Arab, with a sure instinct, knew from the very beginnings of Zionism that he was fighting against his eventual extermination or eviction from his native land. And now it had happened… (EA LP 80)’

Edward Atiyah dès 1953 (date de publication de Lebanon Paradise) signale l’horreur de la réalité palestinienne et son caractère indicible (en mettant en scène Anwar Barradi, Palestinien aphasique). Quarante ans plus tard, des milliers de réfugiés et de martyrs plus tard, Yasmin Zahran s’interroge toujours à propos de la représentation du drame palestinien. Les uns après les autres les écrivains se heurtent au problème de la représentation du réel, irreprésentable par nature. Ils hésitent entre tragédie et dérision :

What tortures me are those who are sacrificed in vain, those who are sent to their deaths, because some traitor had been standing behind them somewhere in the shadows. (YZ BDG87)’ ‘ I laughed loudly, for attributing all our ills is a Zionist plot was our way and laughing at ourselves. If one of us had slipped on ice and broken his back, we would have said it was a Zionist plot. It was our means of making light of the grotesqueness of things, easing the horror of reality.(YZ BDG84)’

Entre pitreries et lamentations tragiques (‘I, the Palestinian Hamlet say…’ (AB SB 73)), ils cherchent le juste ton qu’ils ne semblent pas trouver puisqu’ils passent de l’un à l’autre sans pouvoir choisir.

Fig. 31. KK
Fig. 31. KK CAB 87

Pourquoi ce choix est-il impossible? Tragédie et dérision seraient une acceptation de la perte de la Palestine. Dans la tragédie, le héros est le jeu de puissances supérieures qui le conduisent à sa perte sans qu’il puisse rien opposer à leur volonté implacable. Quant à la dérision, la distance qu’elle établit entre le sujet et l’objet a pour effet un désengagement du sujet. La dérision poussée à l’extrême entraîne que rien n’est à prendre au sérieux, que tout n’est que jeu sans enjeu. Même si Waguih Ghali affirme l’humour comme trait fondamental de l’identité égyptienne et confirme son rôle décisif dans la survie de l’Egypte au cours des différentes crises (WG BSC 185), il n’empêche que les limites de sa pertinence sont atteintes lorsqu’il est question de Palestine (EA LP 136). Si l’on y regarde de près, la dérision s’applique aux autres parties concernées par le problème palestinien, mais pas aux Palestiniens eux-mêmes. Lorsque Edward Atiyah (EA LP) montre une Rose Harfouche en colère parce que sa chambre d’hôtel a été attribuée à des réfugiés palestiniens, c’est le comportement des pays arabes hôtes – ou soi-disant hôtes - qui est mis en cause. De même, la course de voitures entre deux jeunes chauffeurs qui refusent de se céder un pouce de terrain et qui en viennent aux armes sans avoir tenté de recourir au dialogue (ce qui entraîne des conséquences dramatiques pour André) illustre la puérilité et la futilité des politiques incapables de mesurer les conséquences de leurs actes. Khalid Kishtainy (KK CAB) s’en prend surtout aux Occidentaux et aux Israéliens. Fathia la Palestinienne est le seul personnage qui demeure digne. Avec les autres, tout finit dans le caca et toute discussion finit en eau de boudin. Le caractère scatologique d’une partie de la pièce montre des Israéliens au stade anal, très éloignés d’un statut de sujet faiseur de loi. La dérision aurait donc ici pour effet de désamorcer la crainte que suscite l’ennemi, en dévoilant ses failles en même temps que ses fesses couvertes de médailles. Les arguments poussés jusqu’à l’absurde laissent également apparaître des failles où le sujet palestinien trouve un espace de parole. C’est dans l’absurdité de l’argument que les gardes utilisent pour lui refuser le franchissement du pont que Fathia trouve sa victoire en le leur renvoyant, devenant ainsi maîtresse du jeu. Les pitreries grotesques auxquelles se livrent Israéliens et Occidentaux laissent aussi à Fathia du temps pour agir : action contre parlottes oiseuses.

Fig. 32. KK
Fig. 32. KK CAB 53.

La dérision rend provisoirement supportable l’insupportable, l’inacceptable, sans occulter le devoir de mémoire : ’We must never forget’  (YA 43). L’oscillation entre tragique et dérisoire (tel qu’il est utilisé dans ces textes) laisse s’exprimer un sens du drame palestinien qui ne serait pas définitif. C’est le drame qui permet le mieux de dire la souffrance et l’espoir. A l’issue trop prévisible de la tragédie – suggérée dès Lebanon Paradise grâce à l’acuité de l’analyse d’Edward Atiyah qui laisse entrevoir, de manière quasi prophétique la longue descente en enfer du peuple palestinien - le drame offre une alternative ouverte.

Si les textes ne donnent pas une lecture très optimiste, ils ne sont cependant pas d’un pessimisme absolu. Choisir comme héros positif un Musa Canaan présente une certaine ambivalence : Moïse (Musa) est celui qui n’est pas entré dans le pays de Canaan, la Terre promise, mais il a conduit son peuple jusqu’à son seuil, lui donnant une structure, un sens et en le remettant entre les mains de Josué qui poursuivit son œuvre, en assurant la continuité. On l’a dit auparavant, la continuité historique est assurée malgré des interruptions qui, au regard des millénaires de l’histoire du Proche-Orient, sont négligeables; les civilisations ne meurent pas mais se transforment au contact de l’Autre : autant de signes d’une lecture d’espoir. Des charniers de Sabra et Chatila (‘o refugees whose refuge/is not even/a/graveyard’ (EAd B 37)), s’élève un cri : ’we shall resurrect’  (EAd B 39).

La continuité, dans un premier temps, réside dans les écrivains. L’importance de se dire, de s’écrire est constamment répétée :

We like to live and sing, and tell stories. We don’t like death. […] Our mothers now sing lullabies of martyrdom; our poets look for words to rhyme with death… (KK B 20-22)’

Vivre rime avec écrire, au niveau des signifiés. La parole des poètes, même martyrs, survit :

They killed him, but they can’t still his voice. They filled his golden mouth with bullets to stop the flow of his words – but generations yet unborn will sing his poems. (YZ BDG84)’

De cette faculté de survivance des textes, les exemples de manuscrits retrouvés abondent dans ce corpus.

Cependant, on a entrevu la limite de ce dire, de cet écrire. Si la Palestine est le réel , alors on ne peut qu’écrire sur écrire la Palestine. Et le dilemme des écrivains de ce corpus en est l’illustration. Il s’écrit cependant un discours sur la Palestine et les Palestiniens dont nous allons essayer de distinguer les grandes lignes :

A double servitude : to evil masters from without, and to diseased powers from within. And both closely related. Now that the West has planted Israel on our doorstep, it’ll get even worse. (JIJ HNS60) ’