c – Le petit Palestinien illustré.

Le Palestinien, face à ces deux Autres, se voit attribuer une image sinon négative, du moins minimisée. La minimisation est un des modes de représentation du Palestinien par les Occidentaux : minimiser le problème est une façon de le nier. L’euphémisme ‘ The « events »  (SA L 211) (avec les guillemets qui signifient que le locuteur n’adhère pas à une telle qualification) désigne des troubles graves qui coûtent la vie à des Palestiniens. A mesure que son espace d’origine disparaît, le Palestinien est relégué à la marge. Le problème palestinien n’est plus qu’un épiphénomène (‘I was dealing with saving the Middle East, something bigger than a narrow corner of it, the Palestinian problem.’(SKA OD 41)). Relégué aux marges du monde arabe, le Palestinien l’est aussi dans sa propre lutte (‘we were in the hands of superior powers who canalised the fight and relegated us to a useless background.’(JIJ HNS 13)) et même dans sa propre vie (‘a margin for struggle in his life’ (EA LP 240)). L’image du Palestinien est donc d’abord subordonnée à l’espace qui lui est consacré. Un Palestinien meurt : il occupe une ligne dans le journal (YZ BDG 85). Plus terrible encore, l’invisibilité des Palestiniens lors des massacres de Sabra et Chatila. Le poème Memorandum de Yasmin Adid insiste sur la lumière lors de la perpétration des massacres :

… they surround us / bearing lanterns / […] a festival of light […]… their bright light / that leaves no shadow / […] / Their spotlight / […] / cuts through darkness. / […]… a girl stunned / by the glare of the light / […] Victory is viewed / from tank tops / with lamplit halos. / […]They flash their light / […] (YA . 43-44)

Cécité de l’Autre également rappelée par Etel Adnan (EAd B ) qui a pour corollaire le mutisme : ’the world / dumbfoundedly agrees’  (YA. 44).

Repoussé hors du champ visuel, le Palestinien n’existe pas. On peut donc inventer une image du Palestinien, conforme au désir, ou plutôt aux besoins de l’Occident et de son allié sioniste. Réduit à l’invisibilité, le Palestinien est également privé de parole : le journaliste de la nouvelle ‘The Native Informant ainsi que son guide parlent à sa place : l’Occident mais aussi les autres pays arabes trouvent leur intérêt dans cette parole volée, cette usurpation de la parole.

A l’inverse des Occidentaux, les Arabes tendent à surdimensionner le volume qu’occupe les Palestiniens :

Our papers find in Palestine a rich source of material to fill up their columns. It’s repetitious, uninformed, hot-headed, high-worded, and the people are sick of it.(JIJ HNS27)’

Du remplissage sans consistance, tout aussi vide de sens. Le Palestinien n’est qu’une illustration d’un problème qui demeure abstrait : ’From them she could get a few individual stories to illustrate another aspect of the questio’n (EA LP 142).

Le déficit d’image du Palestinien semble ne pas être uniquement le fait des Occidentaux. Les textes de ce corpus renvoient, une nouvelle fois, dos à dos, Occidentaux et Proche-Orientaux, dénonçant leur responsabilité mutuelle et partagée. L’assassinat médiatique des Palestiniens n’en est qu’une illustration.

Si d’aventure les Palestiniens sont représentés par Occidentaux ou sionistes, l’image est négative. La passivité des réfugiés présentée comme une lâcheté (EA LP 92) ou une forme de paresse (RS NI 84) contribue à la dépréciation des Palestiniens. La question de Ms. Penn : ‘Is it because they have no other choice (RS NI 84) ne renvoie pas à un sort tragique, comme on pourrait l’interpréter; elle sous-entend une incapacité à réagir, à se prendre en main, parce que le Palestinien n’est pas sujet. Totalement dépendant des aides extérieures, des organisations étrangères, il n’est pas digne d’intérêt. D’ailleurs Ms. Penn demande des adjectifs (RS NI 84), ce qui implique une description statique d’un état des lieux, et non des verbes qui impliqueraient une action donc un sujet. Manque d’hygiène, d’éducation, saleté, désordre… vont de pair avec cette image dévalorisante que Violette a du mal à accepter (‘She was sick with shame to hear of the Arabs merely as refugees, as people who had just fled when the Jews attacked them’(EA LP 92)) mais qu’elle ne peut ni ne sait combattre. D’autant que l’alternative représentée sous les traits de Mme Saleeba (‘the war millionaires (EA LP 92)) n’est pas reluisante : réfugiés de luxe, ils sont confinés dans une image totalement déconnectée du problème palestinien.

L’autre image stéréotypée, celle du terroriste, a aussi peu de substance que celle de l’Israélien diabolique, à laquelle elle correspond. Le terroriste, c’est l’Autre, dans ce qu’il a d’effrayant parce que son altérité fait exploser les certitudes de la bulle imaginaire. ‘Omar, le chef d’orchestre, parce qu’il est palestinien sent le soufre : ’The « Molotov Maestro » they call him, the kalashnikov conductor!’  (AS ML 7). Il inspire un mélange d’attirance et de répulsion (‘They hate him, but they cannot get enough of him’(AS ML 17)) et le doute plane sur ses intentions (‘Is he really involved with terrorists?’(AS ML 18)) : c’est le doute, la potentialité terroriste de tout Palestinien qui rend son altérité insupportable. Face aux certitudes idéologiques du clan occidental, il représente l’instabilité, la nécessité d’une remise en cause permanente. Ce n’est pas tant le terroriste en tant que tel qui effraie que ce qu’il dévoile de celui qu’il agresse : l’acte de prestidigitation de Tareq est terroriste parce qu’il met à nu, non pas physiquement mais idéologiquement, les Occidentaux (SA L ). En outre, le terroriste échappe à la Loi telle qu’elle est établie par le pouvoir impérialiste en place. Quand ce pouvoir agit de façon brutale et immorale, il le fait sous le couvert de la Loi qu’il édicte pour se justifier et se protéger des accusations. Si les Palestiniens se rebellent, s’opposent donc à cette Loi perverse, ils sont considérés comme bandits ou terroristes, hors la loi (SA L 119-180). A aucun moment la question n’est posée par les détenteurs de la Loi du pourquoi ni du comment. Asya la pose:

How do you do get to be Carlos the Jackal? How do you go from being a dark-haired wide-eyed six year-old running into his mother’s arms after school with his socks around his ankles and his cardigan slopping off one shoulder to being Carlos the Jackal? What is the route, and at what point does it open up in front of you?(AS IES 446)’

C’est Reja-e Busailah qui répond à cette question par le titre de son recueil de poèmes : We Are Human Too. La force réductrice de la représentation fixée par les Occidentaux et les sionistes réduit les Palestiniens à des types, des histoires, des sujets d’actualité, adaptables aux besoins du moment, en leur ôtant toute dimension individuelle, toute dimension humaine. Mais ‘Omar ou Carlos, sous la plume des écrivains arabes d’expression anglaise ont un nom. Ils prennent un visage et sont sujets d’une histoire.