c – Frères ennemis.

La perte de la Palestine représente une rupture. L’unité et la continuité territoriale disparaissent et l’élément d’altérité (l’état d’Israel) introduit des éclats d’altérité dans des failles jusqu’alors insoupçonnées, d’où l’absence de consensus réel sur la question de Palestine malgré les discours contraires. Mais les Palestiniens exilés semblent surtout emporter avec eux de cette altérité qui les a touchés et mis sur les routes de l’errance.

L’état d’Israël déstabilise la région et les Palestiniens exilés apportent, à leur suite, une déstabilisation. L’immobilité de la région (ou cet immobilisme que nous avons évoqué auparavant) est affectée par ce mouvement soudain, ce déplacement d’une fraction de la population. Avant l’exode massif des Palestiniens, seuls certains éléments de la société se déplaçaient, la bourgeoisie cosmopolite et les bédouins nomades. La confrontation avec l’Autre était donc relativement rare. L’exode massif et brutal des Palestiniens confronte, sans préparation préalable,  les pays hôtes aux Palestiniens: ’Nobody was prepared for us’  (EA LP 78). Méfiance, répugnance (EA LP 182), haine montent à mesure que l’exil se prolonge et que se crée, dans les pays hôtes, une structure parallèle (‘The anarchic state that coexisted with the state of Lebanon (CG BP 62)). Il en résulte des combats sanglants entre frères arabes (‘this bloody conflict between brothers in Jordan (AS IES 207)) comme en ce Septembre noir, rapporté heure par heure dans In the Eye of the Sun (AS IES chp. 5. Sc. 2). Plus craints que plaints, les Palestiniens semblent, aux yeux des autres, malgré la spoliation dont ils sont victimes, détenir une force effrayante (‘On the whole the villagers were anti-PLO in as much as one can be anti-anything looking down the wrong end of a kalashnikov’ (CG BP 62)). L’effroi qu’inspirent les Palestiniens semble participer moins des armes qu’ils possèdent que de l’altérité et du potentiel de modification de l’ordre et des habitudes établies qu’ils représentent. Par sa seule présence à l’hôtel, Mme Seleeba menace l’ordre établi arbitrairement par Reine Harfouche. En ôtant son voile et en se libérant de la surveillance de sa belle-mère, Fareeda Barradi menace un certain ordre qui veut que la femme soit enfermée : la menace qu’elle représente n’est pas tant celle de faire éclater un couple de convenance que d’entraîner d’autres personnes à suivre son exemple libérateur. Le combattant palestinien n’est que l’ultime représentation d’une menace plus subtile qui met en danger, à tous les niveaux, la société établie. La visibilité de la kalachnikov est moins inquiétante que le travail souterrain d’une société mise en mouvement sous l’impulsion des Palestiniens déplacés :

“Palestinians shouldn’t fall in love?” […]
“They should fall in love, yes, fall in love as much as they want to : with their own people. Among themselves. They shouldn’t spread their diseases over other people’s daughters…”
(AS IES 115)’

Les Palestiniens sont une maladie contagieuse. Pour cette raison, ils doivent être éradiqués. Un des éléments qui contribue à susciter la crainte parmi les autres Arabes, est l’apparente indestructibilité des Palestiniens. Malgré l’absence d’aide des autres Arabes (‘Your Arab brothers seem to have forgotten Palestine (YZ BDG 38)), leur survie et leur résistance semblent une monstruosité puisqu’elles pointent une autre voie que les autres refusent, la voie de la rupture.