a – Survie.

Le camp est, dans un premier temps, lieu de survie : ’we want life, however much death wants us for his own us, life is resilient and not easy to destroy’ (JIJ HNS 15). Substitut des quartiers ou des villes ravagés (JIJ HNS10) il est le premier point de rassemblement. Les camps de réfugiés répondent dans l’urgence et l’improvisation au morcellement de la Palestine. Il y a d’abord les campements improvisés dans les vergers autour des villes évacuées (JIJ HNS 12) puis, à mesure que le nombre de réfugiés augmente (JIJ HNS121), leur diffusion et leur dispersion vers les autres pays du Proche-Orient (JIJ HNS 14) qui s’emparent du problème palestinien pour mieux le déplacer (JIJ HNS15), une manière de le nier.

La perte des repères, la désorientation de cette masse informe, indéfinie, de réfugiés se reflète dans le désordre des camps :

[The children] were everywhere, moving around and in between the hundreds of shacks, tents, and semi-houses that were cluttered together on a piece of land that stretched infinitely into the horizon. The dust and sand created by what seemed like millions of mostly bare shuffling feet added a hazy and yellowish tint to the commotion that reigned over the place…(RS NI 82)’

La multitude (hundreds, millions) d’individus indéterminés (ce ne sont que des pieds) est totalement désorientée (everywhere moving around and in between) et rien ne la cadre ni ne la structure (infinitely into the horizon). La variété des types d’habitations ajoute à l’impression de désordre. L’imprécision (hazy), autre cause de désordre, provient de la présence envahissante et mobile du sable et de la poussière. D’autre part, le grouillement de la population est accentué par le contraste entre hundreds pour les habitations et millions pour les gens.

Dans le camp de Musa Canaan, au début règne aussi le chaos :

Only some of them were tents proper […]; The rest were desperate, pathetic improvisations of sacking, straw mats, empty petrol tins and tree branches, scarcely high enough for a man to stand in, often consisting of only three sides, or sporting a few tattered rags by way of a door on the fourth side.(EA LP 74)’

La diversité des matériaux disparates souligne le désordre. Plus grave, le fait que ce désordre affecte les individus, les réduisant à un statut indigne de sujets. L’homme, n’ayant plus la place de se tenir debout, régresse vers la reptation ou la passivité (‘crawled’ ; ‘squatted’ ; ‘lay about’ (EA LP 74-79)) avant de partir à la dérive (‘drifted’ (EA LP 74-79)) et d’être incapable d’une parole articulée (‘mumble’ (EA LP 75)) – c’est d’ailleurs dans ce camp que se trouve Anwar Barradi, l’aphasique. Autre élément constitutif de ce chaos : l’absence de tout :

There was nothing then, absolutely nothing – no tents, no medical supplies, no organisation, no sanitary arrangements; we lived like wild animals, only of course on much less food than they have… You see, nobody was prepared for us. It was days and days before the first tents came or flour began to be distributed. (EA LP 78)’

Le chaos des premiers camps reflète donc la destructuration totale des individus, totalement passifs et dépendants : la dernière phrase où les objets (tents, flour) sont sujets des verbes - dont un verbe d’action (came) - marque l’inertie de ces réfugiés.

Parmi les individus dont la stature est décrite en terme d’horizontalité, se dresse un organisateur, Musa Canaan. Avant même de le faire apparaître dans le texte, on voit sa tente se distinguer du désordre du camp : ’a tent that stood apart ’ (EA LP 74) : le signifiant de la verticalité, stood , désigne immédiatement le personnage, suivi quelques paragraphes plus tard par rising, un autre signifiant de la verticalité : ‘They heard a single voice from inside the tent, rising above the murmurings’  (EA LP 75) : une voix identifiable face à une masse inarticulée. Lorsqu’il apparaît enfin, la verticalité est confirmée : ’a young man stood; a little above the average in height’ (EA LP 75). Dans sa description physique également, l’ordre, la netteté sont établis : ‘its blackness emphasised by the whiteness; clean-shaven; from the edge of the razor’s territory’  (EA LP 75). Avant même qu’il lui soit donné la parole, Musa Canaan est présenté comme l’organisateur du camp. C’est autour de lui et par son travail que le camp se structure : ’long, regular rows of tents’ (EA LP74); ’a remarkably clean and tiny camp’  (EA LP 78).

L’un des signes de la restructuration du camp a diverses implications :

There were no heaps of garbage to be seen anywhere […]
“The refugees do all this themselves […]. We have squads of sweepers; they collect the garbage and burn it everyday…” (EA LP
78)

La première est la progression hors du stade anal auquel semblait être retournés les réfugiés (chez Carl Gibeily, les Palestiniens sont assimilés à de la merde (CG BP 84-85)), ce qui implique donc la reconquête progressive de leur statut de sujet. De la passivité, on passe à l’action avec une réorganisation sociale (squads), spatiale et temporelle (la collecte des ordures se fait selon un ordre et une périodicité). La réorganisation matérielle et sociale permet une restructuration des individus. Anwar Barradi retrouve l’usage de la parole et son identité dans le camp de Musa Canaan.

Si l’organisation interne permet aux Palestiniens de se restructurer individuellement et collectivement, l’organisation extérieure cherche à rationaliser l’horreur :

We’ve been recently counted and pigeon-holed by United Nations. […] Misery is being classified, and oh, they’re so clever at it, U.N.O’s officials. How miserable can one get?(JIJ HNS120)’

Comme Ms Penn et ses catégories linguistiques (‘Did he use any adjectives?’ (RS NI 84), les gens des Nations unies avec leurs comptes, tentent de faire entrer le problème des réfugiés dans des catégories connues, quantifiables; ce faisant, ils le réduisent à des dimensions gérables, ils le chosifient et nient l’horreur qui ne peut s’exprimer que dans le désordre des individus (aphasie, maladie, saleté) et de leur société.