c – Les camps de la mémoire vive.

He had spent his childhood in a refugee camp in Damascus and then had received a scholarship in France, where his mother sent him money earned by doing embroidery work at night and selling it at the gate of the camp. His domaine was silence. He never spoke of his academic achievements, and he had no childhood to speak of, nor love – for he was a lover of a captive land, a beloved of whom he had hazy memories.(YZ BDG81)’

Quand la Palestine est défaite, que les Palestiniens sont dispersés dans le monde entier, que reste-t-il de la Palestine, qu’est-ce que la Palestine, comment peut-on être Palestinien, qu’est-ce que cela signifie d’être Palestinien?

Le camp de réfugiés est nécessaire à la survie de la Palestine, comme l’affirme le réfugié interrogé par Ms. Penn (RS NI 85), pour les raisons de (re)structuration invoquées auparavant mais aussi et surtout à cause de sa visibilité (‘our visibility is crucial for our survival (RS NI 85)) et de son rôle de démonstration.

Visibilité, démonstration à usage externe dans un premier temps. L’éparpillement engendre un risque de dissolution et de disparition totales alors que la concentration des milliers de réfugiés dans un même camp ne peut être oubliée. A l’espace occupé par les sionistes répond cet espace – miroir inversé - qui veut ainsi faire face médiatiquement à l’espace idéologique occupé par les Israéliens. Même si, comme à Chatila, les caméras sont aveugles (‘the sun is so strong in / Lebanon / that cameras were invisible…’ (EAd B37)), les camps de réfugiés et ce qu’ils dénotent, ne peuvent ni ne doivent demeurer invisibles. Aux forces de destruction occidentales et sionistes, le camp oppose sa rage de vivre (JIJ HNS 15). Aux forces déstructurantes, le camp oppose sa force restructurante. A la passivité et à l’immobilisme des frères arabes, le camp oppose sa dynamique et sa force innovante.

En refusant de s’intégrer aux pays hôtes, les réfugiés affirment leur altérité radicale : altérité naturelle – si l’on ose qualifier ainsi la spécificité nationale - à laquelle s’ajoute l’altérité qu’ils doivent à l’originalité de leur expérience :

She deliberately kept her accent so as to mark here foreignness, her rootlessness and her exile.(YZ BDG29-30)’

La singularité de Rayya n’existe qu’aux yeux d’Alex; au regard de la multitude, Rayya n’est qu’un individu parmi tant d’autres. Mais Rayya multipliée à l’infini, se reproduisant à l’infini (les générations se succèdent dans les camps) devient un signe pour les nations. Le camp, parce qu’il dispose de sa propre organisation, jouit de ses propres règles, affirme sa différence, manifeste son altérité par rapport à son environnement, même physique : les alignements réguliers du camp de Sidon contrastent avec le Pittoresque du paysage (EA LP 72-74). Musa Canaan est fortement contrasté par rapport aux autres compagnons masculins de Violette, en particulier son fiancé André. Si l’on considère que la paralysie de celui-ci est la métaphore de l’échec du monde arabe face à la crise palestinienne, Musa représente le refus de se soumettre, une force en marche. A nouveau, la verticalité de Musa contraste avec André alité et paralysé :

Musa looked so virile and strong on his legs. He was wearing his shorts today, and the brown, hairy legs, tough, muscular, bending and advancing with solid rhythmic power, as he followed Violette into the room, seemed to André an intolerable outrage on his own position. Musa was in every respect more masculine-looking than he, but the superior virility of his appearance was so accentuated now by the knowledge André had of the paralysis in his own legs that he could scarcely bear it.(EA LP 252)’

Musa, chef de camp, identifié au camp, fait signe pour l’extérieur mais également pour l’intérieur. La netteté de son apparence, la précision et la maîtrise de son comportement sont un modèle pour les réfugiés du camp (EA LP 8). Sa simple apparition à la porte de sa tente fait d’une foule inerte une foule en mouvement :

There was a crowd of men at the door of the tent […] a haggard vacancy their only expression. […] Presently a young man stood in the doorway […]; As the crowd began to move, the young man in the doorway of the tent saw Jennie and Violette.(EA LP 74-75)’

On a dit que c’est dans le camp que le sujet se reconstitue, autour d’une structure de type familiale (‘you’ve been our father and mother since we came here’ (EA LP 76)) qui peut transmettre la mémoire, l’histoire. Si le déracinement et l’exil sont physiques, ils ne sont pas mentaux. Le camp perpétue une certaine tradition, base d’une identité en évolution. Par son caractère volontairement transitoire (AS IES 729) – même lorsque la durée semble vouloir le contredire (‘She had been a newlywed when she fled her home in Jerusalem, and was now a grandmother’(RS NI 84)) - qui inscrit dans une durée incertaine la précarité des conditions de vie (RS NI 84), le camp cristallise les frustrations et aiguise le désir de retour. Plus qu’un espoir, il fait naître une volonté de retour et une combativité que perdent ceux qui se sont installés hors des camps, dans des conditions confortables (comme le suggèrent les réfugiés établis dans les camps). L’instabilité suscite le désir chez le sujet qui vise à la totalité du paradis retrouvé sans jamais l’atteindre. Aussi Rayya est-elle perpétuellement en mouvement, en déplacement.

Le camp est le signe de la résistance opposée à la destruction programmée de la Palestine. Comme les mots et expressions arabes qui émaillent les écrits des écrivains arabes d’expression anglaise, signes irréductibles de leur arabité, les camps émaillent le Proche-Orient comme autant de signes de l’irréductibilité de la Palestine. Dans le corps proche-oriental morcelé par la présence allogène qu’est l’état d’Israël, les camps sont autant de cicatrices inguérissables, souffrance que rien ne peut alléger. D’ailleurs l’impossibilité de décrire le camp (“ Ask her what it’s like to live in the camp “. […] “As she can see, this is how we live”. (RS NI 84)), malgré tous les projecteurs et caméras (EAd B ; YA.)), dit que cette souffrance est de l’ordre du réel, de l’indicible.