c – Terrorisme.

En fait, la vengeance vise à amener l’Autre à se voir tel que le Palestinien le voit.

Now their own power is turned against them, their power is the reason why they are held at gunpoint.
[…] He probably knows all about restraint and detention – but from the other side.
(AS IES 446)’

Ce sont les Anglais qui les premiers ont introduit la terreur en Palestine (SA L 171) et les sionistes leur ont emboîté le pas (JIJ HNSchp.2). Les termes qui désignent habituellement les terroristes palestiniens désignent les sionistes (‘nocturnal terror’ (JIJ HNS 10), ‘fanatic’(YZ BDG87))… La brutalité des actions de répression est assimilée à des actes terroristes :

The Israeli riposte was always swift and calculated. The proportion was approximately ten to one, so that an attack on an Israeli farm was promptly followed by the decimation of a Lebanese village; the destruction of one in every ten houses chosen almost at random. This algebraic policy was not foreign to the land. It had been introduced millenia ago by the Romans – past occupiers – who had dealt with mutinies and revolts in a similar fashion. But in those distant days, seventy generations away, Jews had been on the receiving end of Roman justice. […] Those early Jews would have understood these militiamen. They, too, had been motivated by the heady mixture of oppression and religious fervour.(CG BP330)’

Le terrorisme et ce qu’il implique n’a donc rien de nouveau mais se trouve profondément ancré dans l’histoire de la région, héritage transmis de génération en génération, par delà les clivages. Si les sionistes ont usé de méthodes terroristes envers les Palestiniens, il n’est donc pas surprenant que Shadi, le résistant palestinien, se présente à la frontière déguisé en rabbin (AB SB 63-65) devant Yakov qui rapidement montre des signes d’inquiétude malgré l’attitude amicale de ce faux rabbin : ’Honestly, rabbi, I feel very afraid. A mixture of fear and death’ (AB SB 67). Ce faisant, Shadi renvoie sur Yakov le sioniste la responsabilité de ses actes (à lui, Shadi). Si Shadi et les siens recourent à des actes terroristes, c’est parce que l’exemple leur vient de Yakov et des siens, ce qui permet à Shadi d’accuser Yakov d’assassiner son propre peuple : ’You’re a Zionist soldier […] you Nazi murderer of your own people’(AB SB 71).

Se présenter sous les traits du Même, pour lui montrer comment il est perçu par l’Autre, c’est-à-dire lui révéler sa part d’altérité, est une des formes du terrorisme qui déstabilise l’ennemi. Il ne se voit plus en justicier, mais en justiciable. Il ne détient plus la maîtrise de la situation, il est l’objet de celui qu’il croyait avoir écrasé. Il n’est plus celui qui piège, il est pris au piège, à son propre piège. De bourreau, il devient victime, sa propre victime.

Cela fait-il pour autant un bourreau du terroriste palestinien? Si l’on considère les quelques exemples d’actes terroristes présentés dans ce corpus, on s’aperçoit une nouvelle fois que l’acte vise à mettre l’Autre à la place où il avait mis le Palestinien :

A bomb was thrown […] in the largest square of our city […] which [encloses] […] a hub for all the transport system that covers not only the country and the city but stretches to Aleppo and Istanbul and Damascus and Ammam and Baghdad and Teheran. […] All this came to a silent stop because the bomb hit a tram […]. And its passengers […] were scattered in bloody lumps, many still clothed in a ripped sleeve or a glove, far and wide…(SA L101-102)’

Comme Reja-e Busailah, Soraya Antonius a tendance à accumuler les détails sanguinolents, ce qui n’apporte rien de plus au texte, comme dans cet extrait où l’on voit comment l’acte terroriste morcèle les corps, les individus, réduit au silence – on se souvient des Palestiniens aphasiques, privés de parole - et détruit tout repère et sens de direction (la gare routière touchée, il n’y a plus de liberté de mouvement possible). De plus, les fragments de corps mutilés atteignent les autres passants si bien que tous sont touchés, individuellement et collectivement :

A martyr was fearless as he drove his explosive-laden car towards his enemies because, in the moments before impact, those he had been sent to kill became blurred in the hero’s vision, grew indistinct, amorphous. […] The algebraic reprisal inflicted tenfold on the hero’s village did not concern the faithful. The enemy was always motivated by the shaitan – and besides, martyrs had no need for logic. (CG BP330-331)’

Carl Gibeily montre comment l’anonymat de l’ennemi (blurred, indistinct, amorphous) facilite l’acte : l’Autre n’existe pas en temps qu’individu. Comme les Palestiniens sont niés dans leur existence de sujet, ils dénient, à leur tour, ce statut à leurs ennemis. La binarité de la lutte entre le Bien et le Mal (faithful, shaitan) est une autre manière de nier l’Autre en lui conférant une identité abstraite. Quant à la rupture de logique (no need for logic), on a montré quel rôle déterminant elle joue dans les relations anglo-israélo-palestiniennes.

Quant aux Assassins de Nabil Saleh, leur motivation repose au fond sur un désir de retour au Paradis (NS O 76-77). Si chez les Ismaili le désir est créé artificiellement, pour les Palestiniens il est bien réel, inscrit dans leur corps, leur mode de vie. L’autre motivation (‘fierce sense of independence’ (NS O77)) correspond à ce désir d’identité des Palestiniens qui leur fait rechercher l’altérité radicale afin d’être individualisés, reconnus comme tels.

D’autre part, l’acte terroriste lorsqu’il apparaît dans un texte est mis en perspective. Ainsi lorsque In the Eye of the Sun fait état du piratage de plusieurs avions (AS IES 204-206) dans le style lapidaire qui lui est propre, il en résulte un éventail de nouvelles brèves qui montre l’imbrication de plusieurs événements simultanés ou consécutifs, avec leurs liens ou leur absence de liens. Le lien direct entre le piratage et les réactions n’apparaît pas directement : alors que le piratage se déroule au Caire, c’est la Jordanie qui attire les regards au moment où les Etats-Unis sont préoccupés par le Chili (AS IES 205). L’éclatement géographique des lieux d’où émanent ces nouvelles favorise leur désarticulation. De la même façon, le massacre des Palestiniens en Jordanie semble se poursuivre sans que quiconque ne le sache ni n’intervienne. La typographie accentue le phénomène de déconnection : phrases courtes, blancs entre les lignes donnent une impression de monde découpé en tranches, en sections qui n’ont aucun lien entre elles. La logique qui préside à ces événements et à leur enchaînement est absente du texte. Cette déconstruction d’une logique idéologique – différente selon le camp auquel on appartient - donne au lecteur l’occasion de mettre en cause la logique (les logiques) officielle(s) et de chercher sa propre interprétation de l’acte de piratage. Il ressort de ce passage un isolement des Palestiniens et une difficile compréhension de leurs actes.

Aucun des textes ne cherche à justifier le terrorisme mais pose la question de son avènement.

How do you get to be Carlos the Jackal? […] She can see how you become a PLO fighter. You are simply born in Palestine and choose neither to go away nor to live peaceably under occupation. (AS IES 446)’

On sait l’équation Arabes = fedayeen = terroristes (KK B 17) qui fait de tout Palestinien, qui refuse d’être dépouillé de son statut de sujet après avoir été spolié de sa terre (AB SB 71-74), un terroriste. Tout combattant l’est encore plus dès lors qu’il demeure dans cet entre-deux négatif (neither… nor) où ni l’errance ni l’enracinement ne lui donne une identité. C’est cette négation, ce vide qui le rend monstrueux, objet de terreur, donc terroriste.