Dans les ouvrages scientifiques les plus récents, nous trouvons des amorces de notre propre réflexion. En effet, comme dans ceux-ci, l’intertextualité est présente dans nos propos.
Cependant, nous souhaitons généraliser cette méthode d’approche des textes de Tieck en tentant de soumettre l’intégralité de ses nouvelles de maturité à cette réflexion. Si l’intertextualité désigne une « conception née d’une réception »,
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nous souhaitons dépasser les critiques traditionnelles et donner la mesure la plus exacte possible à la fois de ses sources d’inspiration, mais également de tout son travail de re-création. Pourquoi ne pas voir alors en l’intertextualité au sens large, ce dialogue complexe entre les œuvres, non un pillage intellectuel, mais bien la clef des nouvelles de Tieck, « sous tous ses aspects, avec ses qualités et ses faiblesses ».
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À cette fin, nous proposons dans un premier temps d’aborder le dialogue de Tieck avec la littérature sous deux formes principales, avec les genres théoriques d’une part, avec les traditions historiques d’autre part. Certes, cette distinction peut paraître contestable : il est parfois difficile de différencier ces deux formes, et cette séparation peut paraître superficielle. Néanmoins, elle nous a paru nécessaire au cours de notre travail lorsque nous nous sommes interrogée sur l’appréhension des formes littéraires par Tieck nouvelliste. En effet, cette distinction reflète deux réactions distinctes et caractéristiques du lecteur et du chercheur face à ces nouvelles. Dans un premier cas, le lecteur est surpris par des nouvelles qui ressemblent assez peu à des nouvelles. Les textes de Tieck ne correspondent pas à ses attentes en la matière, ils évoquent quantité d’autres genres. Dans un second cas, le lecteur des nouvelles est frappé par l’évocation précise d’autres œuvres littéraires. Assurément, Tieck nouvelliste ne fait que rendre extrême et productive cette instabilité générique, et c’est bien le sentiment que nous souhaitons éveiller à l’issue de notre travail, avec notamment l’étude d’une forme aboutie de dialogue intertextuel, celui auquel se livre un «hypertexte » exemplaire, L’Épouvantail, avec la littérature comme ensemble « d’architextes » (ou genres théoriques) et « d’hypotextes » (ou traditions historiques). Concernant ces derniers termes, nous reprenons ici la terminologie de Gérard Genette (1982) :
Dans cette troisième et dernière partie, nous mettrons également en lumière les conditions favorables à un tel dialogue, dans une perspective avant tout culturelle et esthétique, afin de montrer la profonde unité qui régit ce dialogue avec les genres. Nous n’évoquerons les réflexions théoriques de Tieck sur le genre de la nouvelle que dans ce dernier mouvement de notre réflexion afin de suivre véritablement son cheminement en la matière, id est en progressant de la pratique vers l’abstrait. Rédigées en 1829, ses réflexions nous semblent être avant tout le prolongement de l’expérience nouvellistique à laquelle il se livre depuis 1822.
Enfin, au terme plus solennel de « dialogue » avec la littérature, nous préférerons celui de « jeu » qui nous semble davantage refléter la virtuosité de Tieck en la matière, l’esprit ironique et ludique qui l’anime et que personne n’a jamais contesté. 27 Tieck, excellent joueur de jeu avec les genres ? Voyons ce qu’il en est.
Titre de l’ouvrage de Suzanne Holthuis (1993).
Robert Minder, 1936, p. 436.
Son amitié avec Karl Ferdinand Solger, grand théoricien de l’ironie, est parlante.