I-1.1. Le conte populaire : Les Peintures

Remarquons d’abord d’une manière générale que tout rapprochement générique entre la nouvelle et le conte, loin d’être fortuit ou arbitraire, a des origines historiques avérées. C’est ainsi qu’en 1930, André Jolles 28 qualifie le conte de « forme simple » antérieure à la « forme savante » moderne qu'est la nouvelle, montrant à quel point ces deux formes sont étroitement liées dans l'histoire littéraire. Benno von Wiese, 29 dans les années 1960, souligne à nouveau cette affinité fondamentale de la nouvelle et du conte dans ses propos généraux sur la nouvelle. Et récemment, l’ouvrage de Thierry Ozwald 30 « [constate] à quel point les deux genres sont adjacents », suivi en cela de Jean-Pierre Aubrit 31 qui propose en 1997, d’emblée dans le titre de son livre, une appréhension conjointe de ces deux formes littéraires, Le conte et la nouvelle.

Notons également que, si le genre de la nouvelle chez L. Tieck apparaît proche de celui du conte, ainsi que nous allons nous employer à le montrer, cette proximité est à l’évidence favorisée par la culture littéraire de son époque contemporaine ainsi que par sa sensibilité personnelle : en effet, l’Allemagne assiste simultanément, au début du XIXe siècle, à l’éclosion du genre même de la nouvelle au sein de sa littérature ainsi qu’à une redécouverte et un engouement national pour le conte. 32 De plus, Tieck est reconnu, au début des années 1820, comme un écrivain dont l’importance dans la sphère du conte précisément n’est plus à démontrer.

Penchons-nous, à titre d’exemple, sur sa toute première nouvelle des années 1820-1830, Les Peintures, parue en 1822 : en quoi celle-ci offre-t-elle des similitudes avec le conte ? 33 Ces similitudes sont-elles déclinées sur un mode ludique, et de quelle façon ? Rappelons brièvement l’argument de cette nouvelle avant de pousser plus loin l’analyse. Le titre évoque un motif central de la nouvelle : le héros Eduard, jeune homme naïf et dispendieux, a dilapidé la collection de tableaux de son défunt père, et acculé à la ruine, il tente de vendre une fausse peinture à l’un des anciens amis de son père, également grand collectionneur en la matière. Sa supercherie est démasquée, et le jeune homme quitte promptement les lieux. Néanmoins, il ne parvient à chasser de son esprit la jolie fille de cet ami, Sophie, tant et si bien qu’il se résout à changer de vie et devenir un honnête homme afin de demander sa main. À l’issue de plusieurs péripéties qui ne lui permettent pas d’accéder à l’objet de ses désirs, lors d’un dîner très animé censé mettre un point final à sa vie de « fils prodigue », il découvre par hasard une cachette rassemblant les tableaux les plus précieux de son père. Heureux, il se présente chez le père de Sophie, et lui offre sa fortune picturale en échange de la main de sa fille. La nouvelle s’achève sur le mariage des deux jeunes gens.

Évoquons, dans un premier temps, comment la dynamique générale du conte se reflète dans celle des Peintures, avant de souligner, dans un second temps, l’emprunt au conte en ce qui concerne la représentation esthétique des personnages et de certains motifs, sans omettre de souligner la dimension ludique de ces diverses analogies.

Notes
28.

André Jolles, 1930, pp. 173-195.

29.

Benno von Wiese, 1963.

30.

Thierry Ozwald, 1996, p. 14 : « La nouvelle en vérité naît et procède du conte, qui, peu à peu, mais au prix de bien des hésitations, des rétrogradations, des réitérations, accouche laborieusement d’une forme neuve qu’il portait comme un corps embryonnaire. ».

31.

Jean-Pierre Aubrit, 1997.

32.

Jakob et Wilhelm Grimm, 1812.

33.

Die Gemälde.