Rapprochements avec une autre nouvelle

Pouvons-nous opérer un rapprochement analogue avec une autre nouvelle de Ludwig Tieck ? Oui. En effet, nous pouvons difficilement ne pas évoquer Le jeune Menuisier (1836), dont nombre de chercheurs soulignent l’appartenance au genre du « roman de formation ». Rappelons brièvement son argument avant d’établir ce lien.

Le jeune Menuisier : Le héros, Wilhelm Leonhard (prénom une nouvelle fois parlant.), jeune marié, entame un voyage avec son ami d’enfance, Friedrich Elsheim. Tous deux, l’un marié, l’autre promis à un mariage qui ne soulève pas son enthousiasme, ne se satisfont pas tout à fait de leur destin. Sur la route, ils échangent leurs conceptions du bonheur, qui doit allier, selon eux, expérience artistique et raison, formation et intégration sociale. Arrivés au château d’Elsheim, Wilhelm et Friedrich s’adonnent à une passion d’enfance, le théâtre, et constituent une petite troupe d’amateurs. Or, les acteurs ont vite bien du mal à opérer une distinction entre la scène et la réalité, de sorte que Wilhelm manque de succomber aux charmes de la coquette Charlotte Fleming. Wilhelm quitte précipitamment le château. Avant de rejoindre sa jeune épouse Friederike, il retrouve son amour de jeunesse, Kunigunde, qui périt peu après. Comme apaisé et transfiguré, Wilhelm tourne définitivement le dos à son passé et regagne le domicile conjugual qui, peu à peu, s’emplit de bonheur et rires d’enfants. Son ami Elsheim suit un chemin analogue.

Les motifs initiatiques du voyage et du théâtre, les longues discussions sur la formation idéale, et la résolution finale de l’aporie initiale, tous sont autant d’éléments en faveur d’un rapprochement de cette nouvelle avec le roman de formation.

Néanmoins, ici aussi, le jeu avec le roman de formation est de mise. Soulignons, de concert avec Jürgen Jacobs, la « variation fondamentale » qu’établit Le jeune Menuisier dans la reprise de cet architexte : «dès le début du récit, le héros, Wilhelm Leonhard, est un artisan marié, capable de pourvoir à ses besoins matériels, il n’est plus un jeune homme problématique et inachevé. ». Ainsi, son voyage, tout comme l’expérience artistique, sont en partie dépouillés de la dimension existentielle profonde qui sous-tend l’architexte : si tant est que demeurent dans cette nouvelle des « éléments du roman de formation, ceux-ci sont bagatellisés et perdent de leur substance ». La « problématique de la formation » est ostensiblement « réduite ». 165 Jacobs voit dans le dépassement du romantisme et les prémices du réalisme une interprétation possible de ce phénomène. Sans évoquer plus avant d’autres interprétations, ce qui nous occupera à part entière dans notre troisième partie intitulée « L’esthétique du jeu avec les genres dans son contexte et dans sa forme aboutie », notons que nous nous trouvons à nouveau, dans le cas du Jeune Menuisier, face à une forme de jeu pensé comme distanciation parodique d’un modèle générique. 166

Notes
165.

Op. cit., p. 152 : „Soweit sich in Tiecks Jungem Tischlermeister Momente des Bildungsromans erhalten haben, sind sie verharmlost und um ihre Prägnanz gebracht. Es geht nicht mehr um die Suche nach dem Sinn der auf sich selbst gestellten individuellen Existenz gegen die zunächst feindliche Welt, sondern um den Weg von einer gesicherten Position durch im Grunde harmlose Verwirrungen zur friedlichen Rückkehr. In dieser Reduzierung der Bildungsproblematik wie in der mit festen Wertungen und Kategorien arbeitenden Darstellung einzelner Gesellschaftsbereiche bezeugt sich die harmonisierende und selbstzufriedene Sehweise eines Bürgertums, das seine Position gesichert glaubt und sich nicht mehr im Konflikt mit der sozialen Realität fühlt. […] [Alle Momente] deuten über die Sphäre der Romantik hinaus auf jenen bürgerlichen Realismus, den Gustav Freytag in Soll und Haben exemplarisch vorführen sollte.“.

166.

In : Rudolf Radler, 1994, p. 546 : „Auch die Bezeichung dieses umfangreichen Textes als ‚Novelle’ soll offenbar Distanz zum Paradigma aller Bildungsromane signalisieren, obgleich Der junge Tischlermeister eindeutig zu diesem Typus gerechnet werden muß, den er voraussetzt und zugleich transformiert.“.