Une vision de l’Histoire

L’élément « ahistorique » est également présent dans Vittoria Accorombona. En effet, à travers l’histoire de l’héroïne tout d’abord, nous pouvons observer une réflexion implicite sur l’Histoire : Vittoria est l’un de ces êtres qui s’élèvent contre le cours de l’Histoire et qui se veulent les artisans de leur propre destin. C’est sur cette croyance optimiste de l’individu face à l’Histoire que s’achève le premier livre de la nouvelle :

À cette exclamation exaltée de la jeune Vittoria, qui souligne la toute-puissance de l’histoire privée sur l’Histoire publique, répond vers la fin de l’œuvre une remarque antithétique et très explicite du narrateur :

En fait, si l’héroïne se dresse contre la décadence de son temps, en même temps, elle ne peut y échapper : à la fin de Vittoria Accorombona, le rapport de forces entre circonstances et individu, Histoire et fiction s’inverse. L’héroïne n’est plus cette « [âme forte] » qui vient à bout de l’Histoire décadente de son époque, mais bien l’être noble qui succombe aux vicissitudes de son temps. L’évolution tragique de la destinée de l’héroïne, accompagnée de considérations du narrateur tout à fait dépourvues d’ambiguïté, délivre un message très pessimiste sur l’Histoire et ses rapports à l’individu. Dans cette œuvre de Tieck, l’Histoire n’est plus seulement celle de l’héroïne, ni celle de la Renaissance, c’est aussi celle de l’éternelle « inconstance du destin des hommes » et de la « fragilité du bonheur ». 184

Remarquons que la présence d’une vision fondamentalement pessimiste de l’Histoire a été perçue par tous les critiques qui ont étudié cette œuvre. Ainsi, Taraba fait le parallèle entre la Renaissance finissante et le Romantisme déchu (1963, p. 334). En guise de conclusion sur ce phénomène, nous souhaitons citer quelques lignes de Judith Purver qui, selon nous, résument bien le sentiment général du lecteur :

Ainsi, comme Aust le suggère, Vittoria Accorombona se situe bien au centre d’un « espace coordonné constitué des axes historique, ahistorique et fictif », à la façon d’un roman historique. Nous pouvons parler d’un jeu assez solennel avec ce sous-genre narratif. Seul le dernier mot de la nouvelle, l’« oubli » (au sens de « vergessen »), lance un clin d’œil au lecteur qui vient, non pas d’abandonner à l’oubli l’héroïne et sa famille, mais bel et bien, le temps de la lecture de la nouvelle et peut-être au-delà, de les ressusciter. 186

Mais ce rapprochement générique se limite-t-il à cette seule nouvelle de Tieck ? Penchons-nous brièvement sur d’autres œuvres afin d’établir de nouvelles affiliations qui renforceront d’autant notre hypothèse de travail sur le jeu avec les genres.

Notes
184.

p. 803 : „Ein Schauer über den Wandel menschlicher Schicksale und die Unbeständigkeit des Glückes ergriff ihn...“.

186.

Se reporter aux pages précédentes sur « Histoire et fiction ».