I-2.1. La comédie : L’Homme mystérieux

Si, dans le cas de la nouvelle L’Homme mystérieux, comme dans celui de Joies et Souffrances musicales entre autres, nous avions opéré un rapprochement avec l’architexte du conte populaire, notons que Tieck propose un second rapprochement générique :

Ces confidences de l’auteur sur l’une de ses nouvelles sont suffisamment opportunes à notre propos pour éveiller notre curiosité et notre attention. Pouvons-nous trouver dans cette nouvelle des traces d’une ancienne comédie ? Où précisément et à quel point ? Quel type de comédie est présent ? Ces éléments témoignent-ils d’une nouvelle forme de jeu avec les genres ?

Évoquons brièvement l’argument de cette nouvelle avant de l’étudier plus avant. L’œuvre est rythmée par la progression spatiale du héros principal : un jeune noble du nom de Kronenberg quitte une région montagneuse de l’Allemagne (trois premières scènes) pour gagner la demeure des Wildhausen (scènes quatre et cinq), celle de Neuhaus ensuite (scènes six et sept), il séjourne plus longuement dans celle des Wertheim (scènes huit à treize) pour se retrouver en prison, et en sortir finalement sain et sauf (deux dernières scènes). Le héros est un beau parleur doublé d’un fieffé menteur : en une époque incertaine de l’histoire allemande menacée par l’armée française, il se targue à tout vent d’être l’auteur d’une satire virulente de Napoléon. Si cette déclaration d’esbroufeur lui vaut les pièces d’or de l’un (scène cinq) et la considération des autres (scène douze), elle lui vaut aussi tout bonnement d’être emprisonné par les dragons français (scènes treize à quinze) et menacé de l’exécution capitale. Cette problématique militaire se double d’une problématique amoureuse : Kronenberg fuit un passé de fiancé peu scrupuleux (au fil des scènes, le lecteur comprend qu’il a fait la cour et promis le mariage à deux jeunes filles de souche noble, et s’est hâté de fuir le duel auquel un frère outragé l’avait provoqué), il se fait le messager tout aussi peu fiable de son ami amoureux, Karl von Wildhausen (lors de l’épisode à Neuhaus, au lieu de rappeler son ami au bon souvenir de la fille de la maison, il se laisse envoûter par le charme de cette dernière au point d’en oublier sa mission première de messager), enfin, des sentiments ne tardent pas à le lier à la jeune comtesse Cäcilie, sentiments dont l’authenticité est quelque peu troublée par la fausse identité à laquelle s’est résigné Kronenberg, pris à tort pour un cousin du nom de Feldheim. Tant la trame narrative militaire que l’action sentimentale jouent sur la propension du héros à faire des mystères et à abuser son entourage, ainsi que l’indique le titre L’Homme mystérieux. 211 Notons enfin que le titre n’évoque pas seulement le héros, mais rappelle également sa rencontre avec un inconnu français, ce personnage qui lui doit la vie au début de la nouvelle, et qui, en retour, sauve celle du héros à la fin de la nouvelle.

Bien qu’il soit délicat, dans le cas de la comédie également, de déterminer la forme commune d’où dérivent ensuite quantité de réalisations diverses, quelques éléments récurrents permettent souvent le rapprochement avec une pièce comique. Tout d’abord, l’action est généralement dénuée de « grands périls », elle ne s’attache qu’à « l’inquiétude » du personnage. Ensuite, ce personnage est un être schématisé au comportement automatique. Enfin, le dénouement est résolument heureux, s’achevant sur mariage, réconciliation et/ou reconnaissance. 212

Notes
211.

Le titre Der Geheimnisvolle renvoie au héros : une exclamation d’Emmerich à l’adresse de Kronenberg est tout à fait significative (p. 348, fin de la scène 12) : „,… können Eitelkeit und Geheimniskrämerei den Menschen so tief aushöhlen, daß er das schönste Glück, das vor ihm liegt, mit Füßen von sich stößt, um Wolkengebilden nachzulaufen?’“.

212.

Marie-Claude Canova, 1993, pp. 4-8.