Une nouvelle de Tieck présente des affinités évidentes avec le genre lyrique : La Cloche d’Aragon (1839), composée d’un récit-cadre et d’un long romance 270 enchâssé. Rappelons brièvement son argument avant d’aller plus loin. Ce « romance » s’inspire de « légendes locales » espagnoles issues du Moyen-Âge et de la Renaissance. 271 Ces légendes évoquent une « cloche » funeste dont les tintements inopinés auraient annoncé les principales crises historiques du royaume. Notre version propose une explication historico-légendaire à son caractère funèbre. Elle met en scène la mort du roi d’Aragon, Don Sancho, lors d’une bataille contre les Maures, et les problèmes de succession qui en découlèrent (1er mouvement) : lui succèdent en effet tour à tour son fils aîné Don Pedro (1er et 2ème mouvements), le frère cadet de ce dernier, Alonso, qui ne tarde pas à périr lui aussi sur le champ de bataille, plus victime de sa propre vanitas que de l’envahisseur mauresque (du 3ème au 7ème), puis, un bref instant, Don Pedro von Atares, chevalier plein de superbia (8ème), et enfin le héros de la « romance » Ramiro, le frère benjamin d’Alonso, type du vrai chevalier chrétien qui allie à son courage l’humilité et la vraie foi (du 9ème au 11ème). Ramiro, s’il est apprécié du peuple en vertu de la paix qu’il parvient à instaurer, est de formation monacale et ainsi peu rompu aux usages de la Cour : très vite, il doit faire face à des velléités de rebellion parmi les nobles (12ème et 13ème). À l’encontre de sa bonté naturelle, et sur le conseil de son père spirituel, le Père Lenardo, Ramiro se résoud à immoler symboliquement les traîtres sur une cloche coulée de sa main afin de dissuader à jamais les présomptueux qui n’honorent ni Dieu ni roi (14ème et 15ème mouvements).
Contrairement à l’attente commune qui réserve généralement le genre féminin au terme de romance, les hispanistes francophones font la distinction entre le romance, sorte de long récit versifié de tradition espagnole, et la romance, forme plus italianisante, qui ne fait que reprendre des extraits chantés d’un romance. C’est à la première forme que nous nous intéressons dans cette sous-partie.
Gottfried Weißert, 1993 : À la page 38, il se consacre à la « Ortssagenballade ». Le recours à des événements historiques et/ou légendaires est typique de cet engouement pour la ballade en Allemagne au XIXesiècle.