I-4. Conclusion

Des précédentes réflexions il ressort que les nouvelles de Tieck articulent divers genres théorique ou architextes : elles présentent tantôt des affinités avec des sous-genres narratifs tels le conte populaire, le roman de formation et le roman historique pour ne citer que les plus importants, tantôt des liens avec des sous-genres dramatiques comme la comédie sentimentale et le « Schicksalsdrama », tantôt enfin, une affiliation avec un sous-genre hybride, proche du genre lyrique, le romance. Comme nous l’avons auparavant suggéré, nos rapprochements ne sont pas exhaustifs, mais ils donnent déjà une idée de la richesse générique de ces nouvelles. 310

Il nous faut aussi remarquer que cette première étude a également souligné la co-présence de plusieurs architextes dans certaines nouvelles : le jeu avec les genres ne s’opère ainsi pas seulement à travers l’ensemble des nouvelles, il peut, en effet, se manifester dans une nouvelle particulière, ce qui accroît alors encore le champ des possibilités génériques. Un genre n’exclut pas l’autre dans le processus de création d’une nouvelle. Cette polyvalence générique de la nouvelle de Tieck est fondamentale et particulièrement intéressante dans le cadre de notre problématique. Nous développerons précisément ce phénomène à la fin de notre travail, par le biais de l’étude approfondie de la nouvelle intitulée L’Épouvantail qui cristallise nombre de potentialités génériques des nouvelles de Tieck.

Enfin, en guise de conclusion transitoire, nous souhaitons évoquer une nouvelle tout à fait emblématique de toutes ces précédentes remarques, à savoir L’Homme-poisson (1835), dont nous avons brièvement parlé au début de la sous-partie consacrée à l’affinité au genre dramatique. Rappelons que cette nouvelle présente une assemblée d’amis réunis à l’issue d’une soirée musicale. Les musiciens et acteurs leur ont proposé une interprétation d’un poème célèbre de Schiller, Le Plongeur. Ce poème devient alors le sujet principal de discussion, et une jeune fille, Lucilie, s’interroge sur son origine. Un vieux professeur lui répond et lui narre la légende sur laquelle se fonde le romance. Lui succèdent alors des récits « [improvisés] » à partir de ce même motif légendaire du « plongeur » : afin de divertir Lucilie, le jeune conseiller Essling propose différentes variations sur ce même thème. Sa première « improvisation » (p. 33), sorte d’exercice de style, s’inspire du « roman de conspiration » (pp. 30-32), sa seconde du « roman d’amour » (pp. 33–37). En fait, il joue avec les architextes de la même façon que Tieck le fait en rédigeant ses nouvelles. Nous observons ici un jeu dans le jeu, ce qui n’est pas sans conforter notre hypothèse de travail. De plus, ajoutons que ce jeu générique dans L’Homme-poisson ne s’exerce pas seulement sur un plan architextuel, id est théorique, il se réalise aussi dans un cadre historique : le vieux professeur propose ainsi deux autres versions du motif du « plongeur » ou de « l’homme-poisson » qui relèvent, selon lui, d’abord de la nouvelle à la manière des nouvellistes classiques italiens
(pp. 17-29), puis de la nouvelle contemporaine moderne (pp. 39-49). Ce faisant, il renvoit à une autre forme de jeu avec les genres, celui opéré avec leurs réalisations historiques. Et c’est cette seconde perspective qui va désormais nous intéresser dans la seconde grande partie de notre travail consacrée précisément au jeu intertextuel avec les traditions littéraires.

Notes
310.

Se reporter entre autres à la sous-partie « I.1.4. Les autres formes narratives présentes ».