Nous souhaitons à présent examiner une nouvelle hypothèse, celle du jeu de Tieck avec une œuvre dramatique tout à fait emblématique de l’engouement de la scène allemande pour le « Schicksalsdrama » au début du XIXe siècle. En effet, nous pensons pouvoir proposer une lecture intertextuelle d’une nouvelle composée en 1827, intitulée Le Quinze novembre. 338 Voyons en quoi cette nouvelle s’inspire du Vingt-quatre février (1810) de Friedrich Ludwig Zacharias Werner, écrivain célèbre en son temps, qui s’éteignit à Vienne le quinze janvier 1823. 339
Comme souvent dans les nouvelles de Tieck, le titre focalise sur un élément-clef de l’œuvre, en l’occurrence une date. Au début du Quinze novembre, cette date apparaît comme funeste : il s’agit du jour de l’anniversaire des dix ans du héros, jour où ce jeune fils brillant d’une famille aisée des environs d’Amsterdam, Fritzwilhelm van der Winden, élève assidu et admiré de ses professeurs, a sombré… dans la stupidité. Sa famille en est très attristée. L’action débute une dizaine d’années plus tard, avec l’arrivée d’un ami de la famille, le capitaine Thomas, qui constate à quel point Fritzwilhelm a changé. En effet, tandis que son esprit reste prisonnier des limbes de la bêtise, son corps a tant forci que sa puissance étonne, et inquiète parfois, tout un chacun. C’est ainsi qu’il construit seul un navire à la stupéfaction de son entourage. Seule la pupille de son père, Élisabeth, reste envers lui d’une fidélité et d’une bienvaillance à toute épreuve. La funeste date anniversaire approche, Fritzwilhelm s’active de plus en plus sur son navire. Le jour de son anniversaire, des inondations apocalyptiques investissent toute la région d’Amsterdam. Seul le navire de Fritzwilhelm permet de sauver sa famille, ainsi que plusieurs habitants voisins. Durant cet épisode critique, le jeune homme, sorte de nouveau Noé, se montre d’un courage exemplaire. À l’issue de cette aventure, il sombre dans un profond sommeil, et se réveille deux jours plus tard… guéri, ayant recouvré toutes ses facultés mentales. La famille est transportée de joie, et le lecteur entrevoit l’heureux mariage de Fritzwilhelm et d’Élisabeth.
L’issue subitement heureuse de la nouvelle laisse déjà deviner à quel point la reprise éventuelle d’un « Schicksalsdrama », genre tragique, s’élabore dans une perspective ludique dans cette œuvre. Avant d’aller plus avant dans ce sens, établissons les parallèles nécessaires à un rapprochement convaincant entre Le Vingt-quatre février de Werner et Le Quinze novembre de Tieck.
Der fünfzehnte November.
Der vierundzwanzigste Februar. Eine Tragödie in einem Akt.