Plusieurs aspects du Jeune menuisier renvoient à des éléments du Wilhelm Meister de 1795 : « la dynamique générale, la constellation de personnages, la passion du héros pour le théâtre, et l’idée de formation ». 419 Afin de ne pas reprendre des éléments déjà mis en évidence soit dans le cadre de ce travail, soit dans celui d’autres travaux critiques, nous centrerons notre propos très précisément sur le motif du théâtre, la place et la fonction qu’il occupe dans les romans de formation de Goethe et de Tieck. 420
Chez l’un comme chez l’autre, l’expérience du théâtre est à la fois érotique, existentielle et esthétique. Au niveau érotique d’abord, tout lecteur se remémore la beauté espiègle de l’actrice Philine et ne tarde pas à la mettre en parallèle avec la coquette Charlotte qui séduit le sage héros de Tieck. De plus, la fin des deux récits présente la plénitude d’un amour partagé entre le héros et une héroïne moins excentrique, extérieure à la sphère théâtrale : Natalie pour Wilhelm, Friederike pour Leonhard. Sur le plan amoureux donc, le héros de Tieck dépasse la sphère théâtrale, il évolue de la scène enflammée de la passion à une union heureuse et solide sur la scène de la vie. De la même façon, l’expérience théâtrale amène une maturité du héros sur le plan existentiel : en montant sur scène, Leonhard, comme Wilhelm, réalise un rêve ardent de son enfance, mais précisément le passage de la théorie à la pratique, du désir à l’action, le fait basculer, comme son modèle, de l’idéalisme pur à une intelligence plus raisonnée du théâtre et de la vie, puisque le premier se veut le reflet de la seconde. Enfin, il s’agit aussi d’un apprentissage esthétique : dans les deux romans, le théâtre n’est pas uniquement limité aux instants décisifs des représentations, de longues discussions sur le théâtre et l’art en général sont présentes. De la même manière que le personnage de Serlo auprès de Wilhelm, le professeur Emmrich joue auprès de Leonhard le rôle du mentor.
Rudolf Radler, 1994, pp. 545-546 : „…Handlungsführung, Figurenkonstellation, Theatromanie und Bildungsidee des ‚jungen Tischlermeisters’ setzen aber ganz offensichtlich die Kenntnis von Goethes Roman voraus.“. L’ouvrage de Markus Schwering (1985) est également très intéressant dans cette optique : pp. 119-135.
D’autant que l’expérience du théâtre est assez typique de ces deux auteurs. En effet, les autres romans de formation accordent évidemment une place très importante au rôle de l’Art dans la formation du héros, mais privilègient la littérature et la poésie (Heinrich von Ofterdingen de Novalis, Ahnung und Gegenwart d’Eichendorff), la musique (Lebens-Ansichten des Katers Murr d’E.T.A. Hoffmann), ou encore la peinture (Franz Sternbalds Wanderungen de Tieck).