PARTIE B : Présentation de L’Épouvantail. Nouvelle-conte en cinq actes de Ludwig TIECK (1835)

Prologue.

Première partie.

Le premier acte (pp. 9-39) se joue aux environs d'une petite ville du nom de Orla. Trois amis se réunissent (scène 1) : chacun se passionne pour une activité intellectuelle qu’il juge supérieure à celles des deux autres, Ambrosius, sénateur, pour la sculpture, Heinzemann, maire, pour l’astrologie, et Peterling, aubergiste, pour l’alchimie. Une étoile filante passe dans le ciel et disparaît derrière les montagnes où réside Ambrosius : Heinzemann l’interprète comme le signe d’un important changement à venir dans la vie et l’art de ce dernier. Quelques jours plus tard (scène 2), Ambrosius envoie une lettre désespérée à ses amis, qui se hâtent de le rejoindre, pensant que sa fille Ophelia est gravement malade ou décédée... mais c’est la disparition de l’une de ses œuvres d'art, un épouvantail de cuir dont la beauté égale, selon lui, celle d’« Apollon » et d’« Adonis », qui le précipite, ainsi que sa fille, dans le chagrin le plus profond. Les deux amis projettent de lui changer les idées en se rendant à une fête de chasseurs célèbre dans la province, à Ensisheim.

Le second acte (pp. 40-194) se joue à Ensisheim et se compose de dix longues scènes.

La première présente Elisa, fille du sénateur de ladite ville, en tête-à-tête amoureux avec le vif lieutenant Wilhelm Linden, neveu de Peterling. Tous deux désespèrent de jamais pouvoir s’unir : le sénateur et apothicaire Dümpfellen semble souhaiter une autre union, celle d’Elisa et de Monsieur de Ledebrinna, noble aisé qui vient de s’installer à Ensisheim.

La seconde scène réunit Dümpfellen et son confident, le syndic Spener. Trois problèmes les préoccupent : la venue incognito du prince Konrad dans leur ville à l’occasion de la fête de la chasse (ils décident d’arranger une mise en scène qui fasse de celui-ci, tireur peu émérite, le roi de leur fête), les fiançailles d’Elisa et de Ledebrinna (ils décident d’écarter Linden, au caractère assez emporté, en l’amenant à provoquer un scandale public lors de la réception du lendemain), et la fondation d’une société savante sous la direction de Ledebrinna.

Dans la troisième, le scandale a bien lieu à l’occasion d’une « réception musicale » et jette l’opprobre sur Linden (son franc parler, grossièreté selon ses adversaires, en est la cause) qui doit quitter la ville. Ledebrinna sort vainqueur de cet affrontement en chantant une adaptation utilitariste d’un poème de Goethe et en remettant à Dümpfellen une composition dithyrambique sur les renoncules, fleurs fétiches de son futur beau-père.

Dans les scènes suivantes, le prince Konrad (scène 4) participe au concours de tir et est proclamé, tant bien que mal, roi de la fête, tandis que Linden (scène 5) se rend à Orla, chez son oncle Peterling, pour lui demander son aide. Il y rencontre Ophelia. Heinzemann la familiarise à la théorie des esprits élémentaires et ne tarde pas à la persuader que son épouvantail bien-aimé était sans nul doute habité par l’un de ces esprits. Ambrosius se rétablissant peu à peu, ils décident tous de gagner Ensisheim (Ambrosius et Heinzemann comptent y régler des problèmes juridiques, grâce au jeune avocat Alexander, neveu de ce dernier).

Une exposition (scène 6) peu commune (qui rassemble tous les écriteaux figuratifs de la petite ville, du type « boucherie », etc...), organisée par Ledebrinna et le sophistique professeur Ubique, a lieu à Ensisheim et est présentée au prince. Elle a au moins le mérite de dérider ce mélancolique désœuvré. Ledebrinna obtient le titre d’ambassadeur.

Les septième et huitième scènes (« Données historiques sur les elfes et les esprits », « Suite des nouvelles du royaume des esprits ») voient l’entrée en scène du merveilleux avec la magique apparition d’un elfe chez Heinzemann. Celui-ci le capture, espérant obtenir d'importantes révélations sur son monde, mais l’elfe, Kuckuk, rebaptisé Alfieri par son nouveau maître, ne peut que lui faire part de sa vie sentimentale, id est de son amour désespéré pour l’elfe Heimchen, exilée chez les êtres humains en vertu de sa grossièreté (elle emploie la même insulte que Linden)... une destinée qui n’est pas sans rappeler celle de Wilhelm et Elisa. Seul le décor change quelque peu : Alfieri se dit futur beau-fils de Rosenschmelz, alias Diane, et d’Endymion. Heimchen se serait par ailleurs transformée en étoile filante pour échapper à ses adversaires le jour du scandale : c’est bien l’étoile qu’Heinzemann avait remarquée (dans la scène 1 de l’acte I).

Dans la neuvième, la société savante présidée par Ledebrinna est fondée, rassemblant Ubique (aux fonctions de secrétaire), Dümpfellen, Spener, le rimailleur Ulf et le mystérieux baron de Milzwurm comme membres, enfin l’excentrique Mme Hegenkamp et sa nièce comme membres honorifiques. Alexander, Mlle Amalie de Weilern (précisément au talent musical reconnu) et sa tante, l’assidu sénateur Willig et Elisa refusent de s’y joindre. La société des « esprits de cuir » (« die Ledernen » signifie en allemand tant « fait de cuir » que « insipide, ennuyeux ») jouit cependant d’une grande reconnaissance parmi les habitants de la petite ville en prônant une littérature soporifique et médiocre qui, sous l’égide de Gottsched, s’oppose à celle de tous les grands génies tels que Goethe ou Shakespeare.

Enfin, la dernière scène du dixième acte réunit les trois amis de la première scène du premier acte, petit groupe augmenté de Wilhelm et Alfieri, les deux amoureux désespérés. Encore que Peterling leur ressemble étrangement, puisque lui aussi s’est enflammé pour l’objet d’un amour impossible : Alfieri, qu’il prend pour une superbe jeune fille, bien (!) qu’Heinzemann lui ait confié que c’est un elfe. Ambrosius reste perplexe devant cette interprétation du genre d’Alfieri par ses amis. Ils décident tous de gagner dès le lendemain Ensisheim, pour fomenter à leur tour une intrigue amoureuse contre leur principal adversaire, Ledebrinna, qu’il s’agit de discréditer auprès de Dümpfellen. Alfieri les y rejoindra cinq jours plus tard, car il va tenter de trouver le célèbre Puck pour mettre la main sur l’épouvantail d’Ambrosius, ce qui seul persuadera Ambrosius de ses origines supranaturelles. Alfieri laisse en gage son gant à Heinzemann : à l’intérieur se trouve sa main ...

Seconde partie.

Le troisième acte (pp. 197-263) débute avec l’arrivée des trois amis à Ensisheim, ville sous la coupe de Ledebrinna. Ambrosius reçoit une lettre de sa fille, encore amoureuse de son Adonis : « ce n’est pas seulement l’œuvre d’art que j’aime dans cet être unique, non, je l’aime lui, celui qu’on nous a dérobé… ». Tous se préparent à se rendre à une soirée musicale chez Dümpfellen, toujours aussi enthousiasmé par Ledebrinna, contrairement à Spener et la ville-résidence voisine qui apprécie Shaekespeare. À peine arrivé, Ambrosius s’évanouit à la vue de Ledebrinna. Ses amis le raccompagnent, mais celui-ci ne veut voir, ni parler à personne. Le lendemain (scène 2), Ambrosius se rend chez Ledebrinna et le supplie de le reconnaître comme son créateur, tout comme lui a reconnu en lui son épouvantail bien-aimé. « Je suis ton Pygmalion, mon cher et tendre être, et tu es ma Galatée... ». Il le traite comme un fils et futur gendre, auquel il est prêt à léguer toute sa fortune, ne lui demandant que de lui confier comment la seule apparition de cette étoile filante, la nuit de sa propre disparition, a suffi à lui donner la vie. Mais, Ledebrinna le traite de fou et le jette dehors ; Ambrosius le menace cependant d’avoir recours à la justice pour faire valoir ses droits... de propriétaire. Une longue troisième scène nous replonge dans le monde des elfes à travers la description d’un rêve de Ledebrinna qui lui semble terriblement réel : il se sent habité par une voix, celle d’Heimchen, qui entame un dialogue avec une autre voix, extérieure à son corps, celle de Rohrdommel, elfe ami d’Alfieri. C'est l’« histoire de l’étoile filante » (cf. scène 1 de l’acte I), d’Heimchen poursuivie sous cette forme, qui plongea sur une silhouette qu’elle croyait humaine, l’épouvantail, pour s’y cacher, et s’y trouve désormais prisonnière. Heimchen narre également les circonstances exactes de son conflit avec les autres elfes, ainsi que celui de Ledebrinna et Wilhelm (cf. scène 3 de l’acte II). La dernière scène de cet acte rassemble le salon de Mlle Amalie de Weilern (Elisa, Alexander, Willig, etc) qui évoque, entre autres, la littérature européenne contemporaine. Ambrosius demande à parler en privé à Alexander : la scène s’achève sur les rires d’Alexander qui promet aux dames un procès hors du commun.

La première scène du quatrième acte (pp. 264-312) mentionne le mariage du baron de Milzwurm et de Mme d’Hegenkamp, et voit le retour du prince Konrad à Ensisheim, en compagnie de son médecin personnel, Pankratius, magnétiseur. Ceux-ci offrent leur protection à Wilhelm qui n’est, dès lors, plus tenu à l’écart par les autres habitants. Une réconciliation formelle a lieu entre ce dernier et Ledebrinna. Entre temps, les adversaires de Ledebrinna n’en préparent pas moins son procès : Alexander défendra la partie plaignante. De plus, Alfieri est revenu, avec la promesse de l’aide de Puck. Heinzemann le met au courant du procès qui est tenu publiquement. Le prince y assiste. Parmi les juges se trouvent Spener, Willig et Dümpfellen. Alexander expose toute l’affaire et les graves soupçons qui pèsent sur Ledebrinna de n’être autre que l’épouvantail dérobé à Ambrosius. L’exemple de la statue de Pygmalion réapparaît. Les preuves données à l’appui sont les suivantes : l’étoile filante (cf. I, 1), le passé obscur de Ledebrinna, son nom qui évoque la matière de fabrication de l’épouvantail, sa variation d'un poème de Goethe (cf. II, 3) substituant aux « roses » les « petits pois », et la dénomination de sa société savante qui rappelle une fois de plus le motif du cuir (cf. II, 9), ainsi que son allocution lors de l’ouverture de cette société qui comparait ses savants à des épouvantails (cf. II, 9), et enfin sa raideur corporelle étonnante, tout comme son insensibilité aux supplications d’Ambrosius qui ne peuvent être le fait que d’un homme sans âme (cf. III, 2). Deux témoins comparaissent également : un tanneur et un tourneur qui avaient participé à l’élaboration de l’épouvantail d’Ambrosius. La défense doit avoir lieu trois jours plus tard, menée par Ubique. Le prince évite Ledebrinna à la sortie de la séance.

La seconde scène se déroule dans le salon de la nouvelle Mme de Milzwurm (ex-Hegenkamp) et réunit Heinzemann, Peterling, Ambrosius, Pankratius, Willig, Ulf, mettant à l'écart le futur beau-père de l’accusé Ledebrinna (Dümpfellen commence à se détacher intérieurement de ce dernier, mais l’idée d’une union de sa fille avec Wilhelm lui fait toujours horreur). Pankratius fait montre de ses pouvoirs de magnétiseur sur Ulf, et émet la supposition que Ledebrinna est habité par un mauvais esprit. Les trois amis lui demandent de les aider à résoudre un autre problème juridique, celui d’un héritage qui devait revenir à Heinzemann et Wilhelm, et qu’un certain Lederer a fait disparaître. Pankratius accepte.

Dans la troisième, l’on assiste à l’issue du procès. Dümpfellen enferme sa fille chez lui pour l’empêcher de voir Wilhelm. Lors du procès, Ubique en appelle au bon sens des juges et réfute un à un les arguments « superstitieux » d’Alexander. Coup de théâtre à l’issue de sa logorrhée : Wilhelm apporte aux juges le chapeau et l’arc de l’épouvantail, trouvés chez Dümpfellen qui les avait reçus en cadeau de Ledebrinna. Les jurés concluent cependant que Ledebrinna est innocent. Ophelia arrive à la fin du procès, mais ne reconnaît pas en celui-ci l’épouvantail de son père. Par contre, Milzwurm reconnaît soudainement en lui son fils qu’il croyait à jamais perdu. Dümpfellen s’étonne de ne pas trouver sa fille à son retour : elle s’est enfuie avec Wilhelm avec l’aide de Pankratius.

Le cinquième acte (pp. 313-355) fait d'abord le point sur l’état d’âme des protagonistes : Dümpfellen se résigne à accepter Wilhelm comme son gendre, Heinzemann et Alfieri attendent impatiemment Puck, Ambrosius et Ophelia sont ravis (Pankratius les a persuadés que leur épouvantail fait l’objet d’un culte fervent chez les Indiens d’Amérique). Ledebrinna ou Eduard de Milzwurm emménage chez son père. Épuisé nerveusement par le procès, il tombe gravement malade et devient la proie de violents délires. Heinzemann, Ophelia, Alfieri et le prince Konrad lui rendent visite : Alfieri saute au cou d’Eduard, entendant Heimchen l’appeler. Pankraz l’écarte un instant de son chevet, lui murmure quelques mots, et Alfieri quitte sans plus d’explications la pièce en riant. Pankraz délivre Eduard de l’esprit maléfique qui l’habite. Le soir même, Alfieri apprend à Heinzemann qu’il va se marier avec Heimchen (son père Endymion y a enfin consenti), et que Pankraz n’est autre que Puck. Durant la convalescence d’Eduard, Ophelia s’éprend de lui. Elisa et Wilhelm, quant à eux, se sont mariés à Orla et se réconcilient avec Dümpfellen. Amalie et Alexander s’apprêtent eux aussi à se marier. Le soir de leur mariage doit avoir lieu une nuit de pleine lune, lors du mariage d’Heimchen et Kuckuk. Enfin, le magnétiseur Pankraz hypnotise Eduard et obtient des révélations capitales pour l’affaire d’héritage d’Heinzemann : sa tante lègue tout à Wilhelm. De plus, Pankraz démasque l’obscur baron de Milzwurm comme étant le malhonnète Lederer, bourgeois d’Ensisheim. Mais tous finissent par se réconcilier : l’union d’Eduard et d’Ophelia est promise. La famille Milzwurm s’anoblit et reprend le nom de Ledebrinna en souvenir de ses retrouvailles.

Les mariages d’Amalie et Alexander, et de Heimchen et Kuckuk (scène 2) ont lieu chez Mme d’Edelmuth, tante d’Amalie, en présence du prince, d’Heinzemann, de Peterling, d’Elisa et de Wilhelm. Elfes et être humains (enivrés) se mêlent pour les célébrer. Diane et Endymion sont de la partie. Pankraz se transforme en perroquet pour prendre congé du prince. Les invités ont tout oublié le lendemain, sauf Heinzemann.

Le même soir (scène 3) a lieu celui d’Ophelia et Eduard (Ledebrinna) chez Ambrosius, en présence de Dümpfellen, Spener, Ubique et Ulf. La pièce s’achève sur l’intimité des jeunes mariés : Ledebrinna confie à sa jeune épouse qu’il est bien l’ « Adonis » qu’elle aimait.

Epilogue.

Le narrateur conclut au bonheur de tous : Ambrosius, mis dans le secret, pardonne à Eduard de s’être montré ingrat à son égard. La société savante poursuit son œuvre, ses enfants marchent dans ses traces et Ophelia renonce à son prénom shakespearien, totalement opposé aux « esprits de cuir ».