Première partie : Méthodes et arrière-plan ethnographique

Chapitre I : Eléments théoriques et méthodologie

I.1. Introduction

Dans ce chapitre seront présentées les méthodes qui ont été adoptées pour réaliser cette étude, en commençant par l’ethnographie de la communication, l’ethnométhodologie et enfin l’analyse conversationnelle. Je vais faire un bref résumé des idées de base qui lient ces courants et qui ont mené au développement de l’analyse des interactions verbales (avec ses nombreuses variantes) comme nous la connaissons aujourd’hui – notamment la sociostylistique que je présenterai ensuite. Je considère ces concepts comme mes outils méthodologiques de base. D’autres courants qui ont influencé mes analyses (comme la psychologie sociale et son expression dans la théorie de la catégorisation de Tajfel) seront présentés au fur et à mesure dans les chapitres correspondants.

Pour parvenir à mes fins dans ce travail, je combine une description classique, orthodoxe selon les principes de l’analyse conversationnelle, avec l’ethnographie de la communication (cf. Drescher 1997 : 8-13). L’ethnographie et l’analyse conversationnelle ne présentent, pour moi, pas deux méthodes séparées, mais elles se complètent 11 .

Comme nous allons le voir, l’analyse conversationnelle répond au « comment » et à certains « pourquoi » du fonctionnement de l’interaction verbale. L’ethnographie nous aide à éclaircir ces aspects du « pourquoi », de certains points ou mécanismes dans la communication, qui ne sont pas interprétables ou explicables avec la seule approche conversationnelle, ou, comme l’exprime Deppermann (2000 : 96) : « […] there are several systematic issues which favor or even require ethnographic knowledge to be used in order to improve and validate a conversation analytic study ». Günthner (2000 : 28) parle d’une « restriction énorme » dans le cas où l’analyste n’utilise que des catégories rendues explicites (que l’on peut donc trouver dans le texte) par les participants 12 . Les données ethnographiques peuvent éclaircir des points qui sinon resteraient obscurs : le savoir socioculturel des interactants appris par l’observation et/ou (comme dans mon cas) par la participation est ainsi utilisé comme ressource à l’interprétation des données.

L’analyse conversationnelle classique part du principe que l’interaction verbale se déroule à base de certains mécanismes que l’on suppose universels (cf. par exemple les règles d’alternance de Sacks/Schegloff/Jefferson 1974) ; les règles d’application de ces mécanismes « varient sensiblement d’une société à l’autre – ainsi du reste qu’à l’intérieur d’une même société, selon l’âge, le sexe, l’origine sociale ou géographique des interlocuteurs » (Kerbrat-Orecchioni 1993 : 61). Dans notre cas, il ne s’agit pas de décrire ces règles d’application dans une société, mais dans un groupe subculturel lyonnais – celui de la Lutine.

Ajoutons que ces règles varient aussi selon le contexte situationnel. Ce qui nous intéresse ici, c’est donc l’application, c’est-à-dire le choix du traitement de ces mécanismes qui, par contre, est spécifique et construite de manière « locale » (« local production of social order », cf. Garfinkel 1967), interactive, dans le groupe étudié même. C’est là où s’expriment et où sont saisissables les conditions socio-historiques dans lesquelles se déroulent les interactions et les valeurs pertinentes qui en sont constitutives.

Comment ces courants se sont développés, quels sont leurs croisements, comment s’influencent-ils les uns les autres ? Quelles études ont influencé mon analyse des interactions verbales à la Lutine ? C’est à ces questions-là que le chapitre suivant va tenter de répondre.

Notes
11.

Pour une dicussion de « l’analyse conversationnelle ethnographique » cf. Deppermann 2000. En fait, il appelle ce concept « ethnographische Gesprächsanalyse » pour éviter le terme « Konversationsanalyse », cette nuance n’étant malheureusement pas traduisible en français.

12.

Elle cite Bourdieu (1974 : 35) qui reproche à l’analyse conversationnelle son « l’hyper-empirisme » (Günthner 2000 : 28).