I.5. L’analyse conversationnelle

How might conversation analysis be characterized ? First, it views conversation as a describable domain of interactional activity exhibiting stable, orderly properties which are specific and analyzable achievements of speakers and hearers. (Zimmermann 1987, cité dans Gülich 1991 : 334)

« Discipline carrefour », comme l’appelle Maingueneau (1996 : 25), l’analyse conversationnelle 31 est influencée par l’anthropologie cognitive, l’anthropologie culturelle, la phénoménologie de Husserl, la sociologie phénoménologique de Schütz et enfin de l’ethnométhodologie et les travaux interactionnistes de Goffman.

Ce sont surtout les études de Sacks, Schegloff, Jefferson et Schenkein qui aident à développer ce courant :

‘À partir de l’année 1965 (début des « Lectures » de Sacks), un groupe de sociologues qui avaient tous fait leurs études avec Garfinkel ou avec Goffman et qui voulaient mettre en pratique les idées de ceux-ci, se mirent à étudier des conversations. Ils se servaient de données empiriques, c’est-à-dire d’enregistrements et de transcriptions qu’ils analysaient d’une façon très précise, très fine et très détaillée. On peut citer comme représentants principaux Harvey Sacks, Emanuel A. Schegloff, Gail Jefferson, Jim Schenkein, mais il faut souligner surtout l’importance d’Harvey Sacks, mort en 1975, dont l’influence reste décisive même aujourd’hui. (Gülich 1991 : 331)’

L’analyse conversationnelle n’a développé ni méthodologie ni théorie formulée, ce qui s’explique par le choix de ne pas appliquer une méthode hypothétique-déductive, mais de développer les catégories d’analyse et les déductions théoriques à partir des données. L’analyse conversationnelle est strictement empirique. Elle suit des principes méthodiques que Günthner (2000 : 24-25) liste comme suit :

Utiliser des jeux de rôles ou d’autres données conçues dans un contexte expérimental est inacceptable pour l’analyse conversationnelle. Ce qui l’intéresse, ce sont les interactions de tous les jours, du quotidien. Ceci n’est évidemment pas toujours facile à réaliser, d’un point de vue technique mais aussi et surtout « humain », c’est-à-dire que, après avoir obtenu la permission d’enregistrer, il faut « trouver la bonne distance entre les positions de participant et d’observateur33, [et] veiller à ne pas modifier la situation […] » (Traverso 1999 : 22), etc. Je ne vais pas entrer en détail dans ces questions ici ; pour une description détaillée des problèmes et des exigences au moment de la constitution des données cf. Deppermann (1999 : 21-30).

L’analyse est faite à partir d’enregistrements de conversations, minutieusement transcrites ; Sacks explique cette méthode comme suit 35  :

‘I started to work with tape-recorded conversations. Such materials had a single virtue, that I could replay them. I could transcribe them somewhat and study them extendedly – however long it might take. [...] I could get my hands on it and I could study it again and again, and also, consequentially, [...] others could look at what I had studied [...].(Sacks 1984 : 26)’

L’enregistrement nous permet de préserver des données complexes, de les réécouter et analyser sous divers angles. Ces « données situées » (Mondada 2001 : 3) nous donnent la possibilité d’étudier les énoncés, les activités langagières, dans leur contexte, dans la situation même où elles ont été produites.

Il s’agit de trouver des structures, des principes dans l’interaction sur lesquels les interlocuteurs se basent pour interagir. Pour cela, l’analyste a besoin d’une collection de cas concrets qui peuvent servir de base de données.

Après avoir trouvé plusieurs exemples qui montrent une certaine structure, on les considère comme la résolution d’un certain problème ou d’une certaine tâche dans l’organisation de l’interaction. Pour établir des hypothèses sur ce qu’est cette tâche,l’analyste a recours aux interprétations des interactants.

Le principe de base dans l’analyse conversationnelle est la séquentialisation, « l’ordre co-élaboré par les participants à une rencontre pour l’accomplissement de leurs actes » (Traverso 1999 : 9). L’analyse de l’organisation séquentielle des activités conversationnelles, la méthode de validation, consiste en un examen des réactions des interlocuteurs (cf. Sacks/Schegloff/Jefferson 1974 ; Levinson 1983, etc.) : nous observons comment l’autre a compris le comportement/énoncé de l’interlocuteur à travers sa réaction à celui-ci.

La séquentialité signifie que deux énoncés dont la succession est extrêmement réglée, qui fonctionnent « de telle sorte que la production du premier membre de la paire exerce une contrainte sur le tour suivant » (Traverso 1999 : 33), sont appelés des paires adjacentes – comme par exemple question/réponse, salutation/salutation, reproche/excuse, etc.

Un grand centre d’intérêt est le « turn-taking », l’organisation des tours de parole, intérêt qui s’est développé à partir des réflexions sur la séquentialisation. Les idées fondamentales sur ce principe sont développées dans le fameux article « A simplest systematics for turn-taking in conversations » (Sacks/Schegloff/Jefferson 1974). « Il [le turn-taking, S.K.] se pose comme schéma régulateur (abstrait et non spécifié au niveau contenu) de l’organisation séquentielle du déroulement de l’action et spécifie le placement exact de celui-ci dans le temps » 38 (Auer 1999 : 145). Sont étudiés ici l’organisation de l’alternance de la parole, c’est-à-dire les techniques d’allocation de la parole et celles de l’identification des lieux de transition possible. Pendant les dernières années, l’analyse de l’organisation des tours de parole est devenue de plus en plus fine et complexe 39 .

L’analyse est validée par la co-occurrence des mêmes phénomènes avec une fonction comparable, mais aussi par les exceptions, les cas où le principe n’est justement pas appliqué : avec l’analyse séquentielle, nous pouvons vérifier par les réactions des interlocuteurs si l’énoncé antérieur est considéré comme conforme à la norme ou pas.

Le tableau qui suit « retrace – très sommairement – le chemin qu’ont suivi les idées ethnométhodologiques » (Gülich 1991 : 340) et montre

  1. que beaucoup d’approches linguistiques et sociologiques ont influencé et aidé à développer l’analyse de la conversation, et
  2. que l’analyse de la conversation n’est pas, et ne doit pas être, un concept homogène. Ceci se montre aussi dans le « bricolage méthodologique » et « l’éclectisme » dontparle Kerbrat-Orecchioni (2001 : 999) quand elle mentionne
‘[...] la préférence de la plupart des chercheurs en France d’utiliser des outils de provenance diverse, afin de rendre compte le plus efficacement possible des différents aspects qui composent ces objets fort complexes que sont les conversations.’

Voici le tableau :

Figure 1 : ethnométhodologie et analyse conversationnelle
Figure 1 : ethnométhodologie et analyse conversationnelle

(cf. Gülich 1991 : 341 ; légèrement modifié par S.K.)

Notes
31.

Pour une introduction en allemand cf. Bergmann 1994b, Kallmeyer 1976, 1988, Gülich 1991 ; en français Kerbrat-Orecchioni 1995, 1996, Traverso 1999, Vion 1992, etc.

32.

« ‘Natürliche’ Texte als Analysegegenstand ».

33.

Cf. aussi ce que Labov (1971) appelle le « paradoxe de l’observateur ».

34.

« Fixierung der Interaktion durch Tonband- bzw. Videoaufnahmen und anschließende Transkription ».

35.

On ne peut pas savoir avec certitude si ce ne sont que les raisons pratiques qu’il évoque ou bien d’autres considérations méthodologiques qui l’ont poussé vers l’étude de conversations. En tout cas, l’analyse de conversations de tous les jours semble un champ idéal pour étudier les procédures que les interactants mettent en œuvre pour la production interactive de sens.

36.

« Aufspüren von formalen Interaktionsstrategien der Interaktion ».

37.

« Analyse des interaktiven Problems, das der Geordnetheit zugrundeliegt ».

38.

« Es legt sich als abstraktes, inhaltlich unspezifiziertes Regulierungsschema über die sequentielle Organisation von Handlungsabläufen und spezifiziert deren genaue zeitliche Plazierung ».

39.

Cf. Ochs/Schegloff/Thompson (1996), mais aussi des travaux sur des phénomènes spéciaux, comme par exemple celui de Jeanneret (1999) sur la coénonciation.

40.

« Überprüfung der Gültigkeit der Analyse ».