I.6. Développement de l’analyse conversationnelle en France et en Allemagne

Examinons la manière dont s’est développée l’analyse conversationnelle, ou mieux : la linguistique conversationnelle en France et en Allemagne. Kerbrat-Orecchioni (2001 : 998) souligne que « dans les pays européens de langue romane, la linguistique conversationnelle s’est développée plus tardivement qu’en Angleterre ou en Allemagne », fait qui est dû en partie à une prédominance du structuralisme dans la linguistique, mais aussi à d’autres traditions scientifiques (ainsi l’influence des conceptions de Durkheim en sociologie et de Lévi-Strauss en anthropologie) qui sont « peu favorables à l’épanouissement de la sensibilité interactionniste » (Kerbrat-Orecchioni 2001 : 999) dans les pays romans. Ce n’est que dans les années 80 qu’une approche interactionniste s’épanouit en France, favorisée entre autres par un intérêt croissant porté à la langue orale et par le développement d’une approche communicative dans l’enseignement des langues.

Les champs d’intérêt ou bien les situations les mieux étudiées en France sont les échanges en classe (cf. Cicurel/Blondel 1996), les interactions thérapeutiques (par exemple Cosnier/Grosjean/Lacoste 1993), les interactions en contexte de travail (Grosjean/Lacoste 1999), les interactions médiatiques (Charaudeau/Ghiglione 1997) et la communication en situation de contact de plusieurs langues, la communication interculturelle (pour un aperçu plus détaillé cf. Kerbrat-Orecchioni 2001).

Pour Hausendorf (2001), l’analyse conversationnelle en Allemagne ne peut plus vraiment être classée en différentes écoles 41 , mais couvre plutôt différents champs thématiques : notamment la communication institutionnelle, « langue et appartenance » (le domaine classique de la sociolinguistique) 42 , l’interaction adulte – enfant (l’intérêt est porté ici à l’acquisition de la langue, au développement de routines d’interaction entre adulte et enfant, et à l’évolution des capacités langagières de l’enfant, cf. Hausendorf/Quasthoff 1996), « interaction et grammaire » 43 , et les « procédés de formulation dans la conversation ».

Deppermann (1999 : 15-17) décrit cinq courants d’étude dans l’analyse des conversations ; une classification qui me semble utile pour présenter les différentes approches et, plus spécialement, les différents travaux qui ont influencé mon travail.

Notes
41.

Il existe pourtant différentes bases méthodologiques, comme l’analyse ethnométhodologique des conversations, l’analyse du discours/la pragmatique fonctionnelle, l’analyse/la grammaire du dialogue, l’herméneutique objective, l’analyse des conversations ethnographique, etc., mais Hausendorf (2001 : 1) ne veut pas les utiliser pour mettre les travaux dans « des tiroirs ».

42.

Ces dernières années, on ne regarde plus tellement l’appartenance ou l’identité sociale comme variable « externe », mais comme une entité construite de manière interactive, et l’analyse des conversations fournit justement les méthodes pour décrire les phénomènes liés à ces questions complexes. Sont étudiés les liens entre langue et genre (par exemple Kotthoff/Wodak 1997), entre langue et âge (Fiehler/Thimm 1997 pour les personnes âgées, Androutsopoulos 1998 pour les jeunes), entre langue et ethnie/nationalité (recherches sur les stéréotypes lié à l’appartenance à un certain groupe, comme celle de Heinemann 1998 ; sur des catégorisations des membres comme Czyzewski/Gülich/Hausendorf/Kastner 1995, ou sur l’appartenance via la langue comme dans le travail de Hausendorf 2000 sur les conséquences de la réunification allemande). Les travaux dont je parlerai par la suite comme portraits communicatifs/sociostylistiques de groupe appartiennent aussi à ce domaine, car ils établissent le lien entre langue et monde social, entre style communicatif et milieu.

43.

Dans une grande partie des travaux de ce domaine, les catégories descriptives classiques de la grammaire sont mises en question ; on cherche à intégrer le langage parlé dans l’analyse grammaticale (cf. Ochs/Schegloff/Thompson 1996), en prenant en compte des formes « déficitaires » comme l’ellipse ou l’anacoluthe. La syntaxe est regardée et utilisée comme ressource d’explication de phénomènes de l’organisation des tours de parole, de la progression thématique, etc. (cf. Schlobinski 1997).