I.7 Le portrait sociostylistique de groupe et ses composants

I.7.1 L’ethnographie de la communication et le groupe

Des études de groupes et de leur comportement quotidien font depuis un certain temps l’objet d’études en sociolinguistique et en ethnographie de la communication. Rappelons des travaux classiques de l’» urban anthropology « comme ceux de l’Ecole de Chicago : ne citons que les travaux de Thrasher (1927) sur les bandes de jeunes, de Wirth (1928) sur un ghetto juif, de Whyte (1943) sur un « slum » italien et enfin de Park (cf. par exemple Park 1921 et Park/Burgess/McKenzie 1925) qui travaille, entre autres, sur le problème de l’assimilation et les préjugés raciaux. Pratiquement toutes les œuvres de l’Ecole de Chicago sont consacrées à la question de l’immigration et de ses conséquences. Elles sont caractérisées par leur fondement sur de solides sources documentaires – « au fil des années, une véritable banque de données sur la ville de Chicago est ainsi élaborée, augmentée et mise à jour » (Coulon 1992 : 112) – et leur prise en compte de la place théorique de l’acteur social en tant qu’interprète du monde, du point de vue et des pratiques élaborées par les individus. On remarque ici une prédominance de l’intérêt pour des groupes marginaux, des minorités.

C’est l’ethnographie de la communication dont j’ai déjà parlé qui se penche sur la communication comme caractéristique centrale des communautés. Les travaux de Hymes et de Gumperz dans le domaine de la sociolinguistique interprétative y jouent un rôle primordial. Sa puissance réside dans l’explication des rapports entre les procédés de communication, les structures sociales et les membres d’une communauté, et cela à l’aide de l’étude de situations communicatives concrètes.

‘A sociolinguistic approach to communication must show how these features of discourse contribute to participants’ interpretations of each other’s motives and intents and show how these features are employed in maintaining conversational involvement. (Gumperz/Cook-Gumperz 1982 :16)’

Pour le portrait sociostylistique, ce sont justement « these features » qui nous intéressent. Les paragraphes suivants montreront comment on peut décrire « ces traits », dans le portrait d’un groupe.

Pourquoi faire un tel portrait ? Kallmeyer en explique la motivation et les buts de la manière suivante :

‘Le but des portraits de groupe est de décrire les caractères du comportement communicatif des membres du groupe ; caractères qui sont liés, pour ces derniers, à leur identité sociale. Il s’agit de comportements qui correspondent à la forme normale de leur comportement communicatif et qui sont regardés comme tels par eux, qui s’accordent de leur point de vue avec leur Leitbilder du comportement communicatif, et avec lesquels ils s’identifient 48 . (Kallmeyer 1995a : 3)’

Pour mon étude sur la Lutine, l’intérêt est donc de donner une description du comportement communicatif du groupe, qui est lié à son identité militante. Je vais essayer de montrer l’influence qu’ont ses valeurs politiques sur la manière d’interagir au niveau verbal.

Pour la description sociostylistique de la Lutine, je me réfère à un concept de base, le style communicatif social 49 pour lequel les règles communicatives (« Regeln des Sprechens/der Kommunikation ») jouent un rôle primordial :

‘L’idée centrale est que le style social est défini par les règles sociales (dont font partie les règles communicatives qui nous intéressent particulièrement) et des procédés communicatifs de gestion de ces règles. Cette gestion porte du sens et on peut en expliquer le fonctionnement 50 . (Kallmeyer 1994 : 121)’
Notes
48.

« Ziel der Gruppenporträts ist, Eigenschaften des kommunikativen Verhaltens der Gruppenmitglieder zu beschreiben, die für diese mit ihrer sozialen Identität verbunden sind. Es geht dabei um Verhaltensweisen, die der Normalform ihres Kommunikationsverhaltens entsprechen und von ihnen als normalformgerecht angesehen werden, die aus ihrer Sicht mit ihren Leitbildern kommunikativen Verhaltens verträglich sind und mit denen sie sich identifizieren ».

49.

Ou bien le style communicatif/le style social – j’utilise ces expressions comme synonymes. Selting (1997 : 9) parle dans ce contexte d’une « stylistique interactionnelle » (« interaktionale Stilistik »).

50.

« Die Kernüberlegung ist, daß sozialer Stil bestimmt ist durch soziale Regeln (von denen uns vor allem Regeln des Sprechens interessieren) und kommunikative Verfahren des sinnhaften, ‘erklärbaren’ Umgangs mit den Regeln ».