II.1.3 La légalisation

Depuis leur arrivée rue Y et parallèlement à toutes leurs activités, les squatteurs et squatteuses ont l’idée de faire légaliser leur présence dans l’immeuble. Avec le soutien de l’ALPIL (Action Lyonnaise pour l’Insertion sociale par le Logement, une association qui s’occupe des problèmes de logements de personnes en situation très précaire, donc aussi des squatts, cf. Glossaire), des démarches auprès de Mme Debazeille, la maire du 7e arrondissement, et auprès de la Courly sont donc stratégiquement menées en vue d’obtenir la légalisation.

En réponse, la Courly propose d’abord des relogements au cas par cas, ce qui est refusé – puisque l’objectif est de vivre ensemble. Ensuite, la Courly intente une action en justice, qui, comme pour la première Lutine, aboutit à un avis d’expulsion, justifié par le fait que « le bâtiment ne respecte pas les normes de sécurité », surtout au niveau électricité et sécurité incendie 121 . Etant donné l’investissement matériel et humain dans le lieu, les squatteurs et squatteuses envisagent de moins en moins la possibilité d’abandonner cette maison, comme ça avait été le cas pour la première Lutine. En novembre 1998, tandis que l’avis d’expulsion est prononcé en jugement, le groupe décide d’organiser un repas de quartier en soutien à la Lutine. La façade est peinte de couleurs vives pour la rendre attrayante, le nom La Lutine écrit en grandes lettres attestant la revendication de l’occupation de l’immeuble. Des affiches sont collées dans le quartier, et la Courly dépêche un huissier pour interdire officiellement le repas de quartier, l’immeuble n’étant pas « habilité » à recevoir du public. Le repas de quartier, avec journée portes ouvertes, a quand même lieu dans la grande salle, dans une ambiance festive et avec succès : de nombreuses personnes (à peu près 150) du voisinage y participent, on en parle dans les journaux locaux.

En février 1999, une manifestation est organisée pour faire pression sur la Courly. Une cinquantaine de personnes – presque toutes du milieu libertaire – se rendent en soutien à l’heure dite devant les bureaux de la Courly, en déployant une banderole « La petite Lutine contre le Grand Lyon » et en distribuant des tracts. Comme les responsables de l’affaire refusent de les recevoir, les manifestants entrent de force, sans rencontrer d’opposition, dans les bureaux. Ils obtiennent l’engagement de suspendre la procédure d’expulsion à condition de faire venir des professionnels qui estimeraient combien coûteraient des travaux pour remettre l’immeuble aux normes.

Cela est fait avec l’aide de l’ALPIL. De longues négociations suivent, les travaux sont effectués (payés entre autres par la Région et la Courly), et l’occupation est légalisée au mois de décembre 1999. Un bail de six mois renouvelable automatiquement une première fois est signé, suivi d’un autre contrat renouvelable sur trois ans, le loyer étant toujours très peu élevé. La stratégie de se tourner vers le public, de chercher le soutien des voisins et l’attention des médias mène au succès : la légalisation d’un squatt était un fait inédit à Lyon jusque là 122 .

Notes
121.

Comme on verra infra, les Lutinistes ne se trouvent pourtant pas seuls dans l’immeuble ; malgré les dangers mis en avant, des locataires habitent toujours au quatrième étage.

122.

Ceci n’a, à ma connaissance, pas eu les conséquences désastreuses décrites par anonyme 2002 : 28 : « En ce sens, je pense [...] que légiférer le squat serait le début de la fin, car l’Etat et les pouvoirs publics savent en jouer. [...] La légalisation des squats, outre qu’elle constitue une impasse politique, s’avère souvent une tactique désastreuse : les squats légalisés deviennent ‘bons squats’, témoignent de la politique de ‘tolérance’ de la municipalité, et lui servent de caution pour criminaliser et expulser les autres squats ‘dangereux’ ou ‘inacceptables’ (ex : squat [sic !] politiques radicaux, squats de sans-papiers, etc.) ». Tout au contraire : comme je l’ai déjà mentionné, un deuxième squatt lyonnais, le Point Moc, a été légalisé en 2002 ; toutefois, ce groupe-là a été obligé de déménager de la Croix-Rousse à Villeurbanne.