II.2.3 Les ami(e)s

Un squatt politique est a priori un lieu où l’on reçoit des gens, un lieu plutôt ouvert 139 . C’est pour cela que la Lutine héberge souvent des ami(e)s ou des connaissances du milieu, c’est-à-dire d’une part des gens qui ont un minimum de bases communes avec les habitant(e)s, d’autre part des gens qui ont pu, d’une façon ou d’une autre, avoir connaissance de l’existence de la Lutine, le plus souvent par relations personnelles. Dans tous les cas, tout le monde doit être d’accord avec un hébergement dans une pièce collective : la personne qui invite quelqu’un prévient le groupe et demande son autorisation, soit en mettant une notice au tableau blanc (du genre XY arrivera le 12 et restera jusqu’au 20, c’est bon pour tout le monde ? Chaque membre peut mettre son okay comme réponse au tableau), soit en le demandant pendant une réunion. Les refus sont quasiment inexistants 140 , d’autant plus que tout le monde connaît ses co-squatteurs et co-squatteuses et les antipathies de chacun(e). Evidemment, chaque habitant(e) peut loger qui il ou elle veut dans sa propre chambre 141 .

L’hébergement peut durer jusqu’à plusieurs semaines, et dans certains cas jusqu’à plusieurs mois. Dans ces cas-là, les personnes hébergées participent, si elles en ont envie, aux réunions du groupe. Il paraît parfois difficile de tracer la frontière entre une personne considérée comme « habitant(e) » et une « personne de passage » : l’absence de contrat de location rend les choses plus floues, et les fluctuations plus souples. Toutefois, on peut distinguer deux critères considérés comme pertinents par les habitant(e)s. Dans la plupart des cas, pour habiter à la Lutine, il faut le demander. La demande se fait parfois en réunion, parfois hors réunion. Ce qui est important, c’est que tout le monde soit consulté. La personne qui demande à habiter est soit une personne qui jusqu’alors habite ailleurs, soit une personne qui est au moment de la demande hébergée a titre provisoire. Au moment de la demande, se pose la question de l’espace privé à accorder au/à la candidat(e). Et on rejoint ici le deuxième critère : un(e) habitant(e) de la Lutine dispose à titre permanent d’un espace privé. Une personne de passage, par contre, dort soit dans le sleeping (un espace meublé essentiellement de matelas où dorment les personnes qui restent peu), soit dans une chambre prêtée pour une période donnée par un(e) habitant(e) momentanément absent(e), soit partage la chambre d’un(e) habitant(e).

Ces critères font que certaines personnes peuvent passer très vite du statut d’» ami(e) » à celui d’» habitant(e) », mais aussi du statut d’» habitant(e) » à celui d’ » ami(e) », comme c’est le cas, par exemple, pour Suzanne qui a été habitante mais qui, au moment des enregistrements de réunions sur lesquels on l’entend, habite un appartement dans la même rue. Le cas inverse est illustré par Olivier, qui a fait de longs séjours à la Lutine au moment des enregistrements, et en est devenu habitant quand une chambre s’est libérée et qu’il a décidé de se fixer principalement sur Lyon. Moi-même, je me range dans la catégorie « amie » ; pourtant, pendant une période de trois mois au début des enregistrements, je me considérais comme habitante.

Voici la liste des personnes que l’on retrouve dans les réunions de mon corpus, avec l’indication de leurs rapports particuliers avec la Lutine :

Pour une meilleure vue d’ensemble, voici un tableau qui présente les habitant(e)s ainsi que les « visites » qui participent aux réunions de la Lutine :

Tableau 2 : Les occupant(e)s de l'immeuble (incl. les « visites » qui participent aux réunions enregistrées)
Nom Age Profession Etudes Squatte depuis Arrivée à la Lutine
Alex (AX) 29 Bénéficiaire du RMI Supérieures Automne 1997 Août 1998
Alphonse (AL) 29 Bénéficiaire du RMI Supérieures Automne 1997 Août 1998
Anja (AN) 22 Etudiante Supérieures Jamais Visite
Charles (CH) 34 Bénéficiaire du RMI Bac ? Visite
Elénie (EL) 24 Jobs occasionnels Bac Hiver 1997 Octobre 1997
Gary (GA) 27 Bénéficiaire du RMI Supérieures Automne 1998 Automne 1998
Gilles (GI) 25 Bénéficiaire du RMI Sans bac Eté 1996 Août 1998
Gisèle (GS) 29 Bénéficiaire du RMI Supérieures 1996 ? Août 1998
Hélène (HE) 25 Etudiante Supérieures 1997/98 Visite
Ito (IT) 1 --- --- Toujours Août 1998
Jacques (JA) 30 Chômeur ? Automne 1998 Automne 1998
Jeanne (JN) env. 22 Etudiante Supérieures ? Visite
Laure (LA) 23 Etudiante Supérieures Jamais Visite
Mandy (MA) 19 Précaire Sans bac Hiver 1999 Hiver 1999
Marcel (MC) 35 Bénéficiaire du RMI Sans bac Env. 10 ans Visite
Maryse (MR) 21 Jobs occasionnels Sans bac Octobre 1997 Octobre 1997
Nicola (NI) 29 Jobs occasionnels Supérieures Eté 1997 Octobre 1997
Olivier (OL) 30 Jobs occasionnels Bac Env. 5 ans Visite
Pénélope (PE) 22 Etudiante Supérieures Hiver 1997 Août 1998
Pierre (PI) 30 Employé Supérieures Env. 2 ans ; ne squatte plus Visite
Raymond (RA) 25 Bénéficiaire du RMI Supérieures Sept. 1998 Sept. 1998
Rémi (RI) 30 Chômeur Supérieures Octobre 1997 Octobre 1997
Rémy (RY) 26 Bénéficiaire du RMI Sans bac Env. 6 ans Octobre 1997
Romain (RO) 26 Chômeur Supérieures Octobre 1997 Octobre 1997
Sabine (SA) 31 Doctorante Supérieures Jamais Visite
Suzanne (SU) 30 Bénéficiaire du RMI Supérieures Eté 1997 Visite
Sylvie (SY) 20 Jobs occasionnels Sans bac Hiver 1997 Hiver 1999
Thomas (TH) 21 ? Sans bac Jamais Visite
Véronique (VE) 30 Bénéficiaire du RMI,
jobs occasionnels
Sans bac Env. 10 ans Août 1998
Notes
139.

« Les squats ne sont pas seulement l’expression d’une misère sociale. Ils sont aussi parfois l’expression d’une forte capacité sociale d’auto-organisation dans des conditions d’extrême précarité. De tels squats sont déjà en eux-mêmes de véritables lieux d’accueil et d’insertion sociale » (Ministère 1999 : 28).

140.

Cf. Rémi (R2/448) : puis bon c'est jamais arrivé que tout le monde soit pas okay

141.

Pour une discussion de ce principe, cf. R2/371-527.