II.5.1 La conversation intime/privée

Les chambres sont les espaces privés 172 à la Lutine, c'est-à-dire que les habitant(e)s les considèrent comme « leur chambre ». C'est le « chez soi » de chacun et chacune, meublé à son goût, où l’on peut s’isoler.

Les chambres sont donc le lieu du privé, en dehors de la sociabilité générale de l'immeuble. Si un(e) habitant(e) reçoit une visite dans sa chambre, ce simple fait marque une volonté ferme de passer un moment seul(e) avec la ou les personnes qui viennent en visite, presque de les soustraire un moment aux autres, afin de pouvoir converser de façon intime, privée. Le prototype de l’interaction privée est la conversation, donc l’échange

‘langagier à caractère réciproque, organisé par tours de parole dont l’alternance n’est pas prédéterminée. La finalité de la conversation est interne et les participants poursuivent un objet commun. La conversation possède une temporalité particulière du fait qu’elle impose à chaque participant l’abandon de son temps individuel et ordinaire pour l’entrée dans un temps commun. Elle peut se dérouler en tout lieu mais affectionne les lieux permettant la meilleure proximité spatiale et psychologique. Elle fonctionne enfin sur la base d’une égalité de principe entre les participants.(Traverso 1996 : 11-12)’

J’ajoute la caractéristique intime pour souligner la volonté des personnes de rester entre elles. Cette volonté peut se manifester également dans un espace collectif. Dans ce cas-là, les interactant(e)s se trouvent forcément dans une situation de non-intimité dès qu'une autre personne rentre ; il va de soi que ils/elles, s’il y a besoin d'intimité, sont obligé(e)s de se retirer dans un coin et de baisser la voix, ce qui n'est généralement pas apprécié par les autres, car il y a ici un décalage entre espace communicatif (collectif) et genre communicatif (intime/privé).

Notes
172.

Suivant la définition de Hall (dans Winkins 1981 : 216), les chambres sont des « sociofuges », des espaces qui favorisent l'isolement des sujets, contrairement aux « sociopètes », qui favorisent la communication.