II.7 En guise de conclusion

La description ethnographique de la Lutine et de ses habitant(e)s reste basique, mais elle me semble suffisante pour comprendre les analyses que je ferai du fonctionnement communicatif de ce groupe, de son style social 193 . Je suis persuadée que ces analyses proprement dites contribueront sinon mieux, au moins autant à la compréhension de ce que caractérise les Lutinistes.

Pourtant, avec cette description des lieux et des gens, de leur fonctionnement en groupe et de leur intégration dans un milieu, je voulais plus que « simplement » présenter mon champ d’étude : j’espère en avoir montré les particularités et les « banalités ». Les « banalités », c’est par exemple le fait que ce squatt est bien meublé, que chaque personne a sa chambre à soi, qu’il y a de l’eau et de l’électricité, que le groupe se fait des soucis pour le voisin, etc. Je souligne cela parce que mes interlocuteurs et interlocutrices réagissent souvent en étant choqué(e)s quand je raconte que j’ai vécu dans un squatt pendant quelques mois, et expriment leur admiration pour les épreuves que j’ai dû subir pour la science pendant mon étude de terrain. Il m’est toujours difficile de persuader ces gens-là du contraire : que j’ai vécu parmi des ami(e)s dans une maison quasiment « normale » 194 . Ce « quasiment » me mène aux particularités que j’espère avoir bien soulignées : la conscience des militant(e)s, leur lutte quotidienne (pas toujours victorieuse) pour vivre leurs idées jusque dans les détails comme la nourriture, les vêtements, leurs comportements vis-à-vis des autres, le choix de ne pas aller travailler 195 – et la manière spécifique d’interagir, de coopérer, notamment dans l’interaction verbale. C’est ce dernier point qui nous intéressera dans ce travail.

La plus grande différence avec le « reste du monde » est l’esprit de communauté à la Lutine : dans ce monde de plus en plus individualisé, les squatts politiques sont parmi les derniers lieux collectifs.

Notes
193.

Pour en apprendre plus sur des squatts en France, cf. entre autres le numéro 2 (avril/juin 2002) de la Revue française des affaires sociales ; le mémoire de maîtrise (en sociologie) de Coutant (2000) ; les travaux de Pucciarelli (1996, 1999), et le mémoire de maîtrise (en anthropologie) de Guyard (2002).

194.

Pour une discussion de la notion de « normal », cf. V.2.5.

195.

Ce dernier point étant le plus difficile à expliquer au monde extérieur qui ne voit que les paresseux jeunes gens qui profitent du RMI.