IV.3.3.5 L’organisation thématique

« L’organisation thématique de réunions de travail est très différente de celle de [conversations] quotidiennes hors cadres institutionnels » 266 (Meier 1997 : 270).

Pour pouvoir traiter tous les points de l’ordre du jour, ou, comme l’exprime Boden (1994 : 100) : « keeping them [= the participants] focussed on a delimited number and order of topics », un groupe doit suivre un développement thématique qui est forcément plus strict que dans des conversations quotidiennes.

Les sujets traités forment des épisodes thématiques que l’on peut aisément distinguer comme tels, le groupe essayant de traiter tous les points de la liste, l’un après l’autre. Souvent on aborde d’abord, pour des raisons pratiques, les « petits points », c’est-à-dire ceux qui vont prendre peu de temps. D’une manière générale, le choix d’un nouveau point à aborder donne souvent lieu à une brève discussion, la personne qui prend les notes demandant par exemple :

R4/1019-1022 :
R4/1019-1022 :

Il peut parfois y avoir, il est vrai, des séquences latérales avec léger glissement thématique 267 , des petites séquences de plaisanteries, etc. Comme nous l’avons vu, cela peut nécessiter des énoncés métadiscursifs qui servent à rétablir l’ordre.

On va voir que la structuration thématique de la réunion est un de ses traits distinctifs : c’est pendant une séquence latérale que Véronique, qui est en retard pour la réunion (sans s’en rendre compte, comme nous allons le voir), arrive dans le salon de Loziz :

R6/203-236 :
R6/203-236 :

C’est le marqueur de structuration de Raymond à la ligne 32 qui signale à Véronique qu’elle se trouve en réunion.

La fin d’un bloc thématique est souvent 268 marquée par une « topic-sequence closure » (Traverso à paraître : 27), c’est-à-dire qu’elle se déroule à l’aide de pauses (lignes 5, 9, 16, 18 dans l’extrait qui suit), d’un ralentissement du débit, du raccourcissement (« shortening ») des énoncés, et de la production de marqueurs de consensus (3, 13, 15) et de clôture (10) ; souvent accompagnés de petites questions liées au sujet (6, 12, 14), mais qui ne font plus vraiment avancer le point discuté. Voici l’exemple de R3 qui réunit ces caractéristiques ; il s’agit d’un point « bilan de la réunion précédente » qui n’est terminé qu’avec un marqueur explicite de clôture par Alex (19) :

R3/294-315:
R3/294-315:

Ceci est un des traits qui distinguent des réunions d’une conversation : « […] here the ‘topic close’ does not indicate a ‘lousy conversation’, but, on the contrary, something like a ‘progressing discussion’ » (Traverso à paraître : 27). Chaque membre du groupe peut proposer des points à discuter, sans obligation de justifier sa demande 269  ; ces propositions sont dans la plupart des cas composées d’un tour de parole court, souvent garnies de nombreuses formules atténuantes (utilisation du conditionnel, hésitations exprimées par des allongements ou des pauses oralisées, utilisation du diminutif, etc.) comme dans les exemples suivants de R7 :

R7/482-485 :
R7/482-485 :

On remarquera dans cet extrait les composantes suivantes :

Notes
266.

« Die thematische Organisation von Arbeitsbesprechungen ist deutlich anders als die von alltäglichen, nicht in institutionelle Zusammenhänge eingebundenen Gesprächen ».

267.

Pour une description du glissement thématique cf. Traverso 1996 : 150-159.

268.

Souvent, mais pas toujours : comme les réunions à la Lutine oscillent entre la formalité et l’informalité, il est évident que l’organisation thématique peut se passer de cette manière ; il existe aussi des moments ou elle se déroule comme dans une conversation, c’est-à-dire par glissement thématique.

269.

Dans les réunions espagnoles analysées par Bierbach, les justifications et les explications du choix d’un thème proposé sont, au contraire, assez élaborées (cf. Bierbach 1996 : 522 ; 526-531) : au début de la réunion, il y a « negociación y ratificación » des thèmes ce qui, dans le cas qu’elle présente, risque d’ouvrir le débat tout de suite parce que le locuteur se sent obligé de justifier longuement son choix à l’aide de jugements de valeur, de cas exemplaires, etc.

270.

Sous la forme d’un malentendu voulu, cf. infra.

271.

La réponse à cette question, posée deux fois par Sylvie, ne se trouve plus dans l’extrait.

272.

Cf. Kallmeyer/Keim/Nikitopoulos (1994).

273.

Non-sens (faux malentendu) de Raymond qui interprète la proposition incomplète de Sylvie la liste euh comme si elle voulait parler de la liste OGM (Organismes Génétiquement Modifiés).

274.

Jeu de mots de Raymond qui parle apparemment de Topalof et Sim (des comiques français).