IV.3.3.6 Les rôles participatifs

‘[...] dans les réunions de travail analysées ici, avec leur caractère plutôt informel, se trouvent des restrictions en ce qui concerne les possibilités de participation des individus. L’ouverture officielle ainsi que la clôture d’une réunion, la production de césures, la terminaison et l’introduction des thèmes, les efforts d’une refocalisation commune d’une discussion ainsi qu’ensuite la formulation d’un résultat ne sont pas réalisés par tous les participants 275 . (Meier 1997 : 272)’

Meier décrit ici le rôle d’une ou de plusieurs personnes à qui leur position élevée dans la « hiérarchie » du groupe permet de contrôler le développement thématique ou de décider du moment de la fin d’une discussion.

Dans les réunions à la Lutine, les rôles sont construits de façon locale 276 , puisqu’il s’agit d’un groupe non-hiérarchique ; Schmidt parle du « même rang situatif » qu’ont les participants des discussions de groupe qu’elle analyse, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de « locuteurs/locutrices privilégié(e)s » (1988 : 37). L’introduction des thèmes est, comme je viens de le décrire, souvent faite sur proposition de la personne qui prend des notes, mais décidée collectivement. Les efforts d’une refocalisation sont souvent le fait de la personne qui prend les notes, mais parfois aussi d’autres membres font des remarques métadiscursives de ce type-là (cf. IV.3.3.2). La même constatation peut être faite concernant l’ouverture ainsi que la clôture de la réunion, la production de césures et la terminaison des thèmes – ce n’est pas toujours la même personne qui assure ces tâches-là. Nous allons toutefois constater (cf. infra) que, comme la participation en général n’est pas égale pour tous les membres du groupe, cela a évidemment une influence sur la participation aux tâches mentionnées.

Les réunions à la Lutine se déroulent sans modérateur, avec une exception qui ne dure que quelques minutes : il me semble intéressant de voir comment se développe cet essai de désigner une modératrice dans R4, car il montre qu’apparemment le groupe n’en a pas besoin. C’est Rémi qui propose 277  :

R4/122-142 :
R4/122-142 :

Rémi propose Pénélope comme « coordinatrice » de la réunion parce que c’est aussi elle qui prend les notes cette fois-ci – ce qui impliquerait une prédestination du rôle de cette personne-là à remplir cette tâche. Effectivement, la personne qui prend les notes est la seule qui a l’ordre du jour devant les yeux, et qui prend l’initiative de plus au moins 278 structurer la réunion, surtout en ce qui concerne le développement thématique, c’est-à-dire la transition d’un point à l’autre. Ne prenons que quelques exemples :

Terminaison d’un point (R4/1394-1397) :
Terminaison d’un point (R4/1394-1397) :

Cette structuration se limite pourtant au développement thématique ; il ne s’agit pas ici d’une organisation des tours de parole du genre de celle que propose Rémi. Apparemment il n’y a pas besoin d’un règlement comme celui-là : Pénélope ne distribue que cinq fois de suite (R4, 145/158/163/176/189) le droit de parole, et après quelques minutes elle « l’oublie », et personne ne le lui rappelle. L’échange se déroule alors sans modératrice.

En ce qui concerne les rôles de participation, Bales (cité par Meier 1997 : 150) constate qu’à partir de sept participants quelques personnes montrent une tendance à moins participer. Ceci est aussi le cas pour les réunions de la Lutine. Le fait que les personnes qui participent de manière active soient toujours les mêmes, et qu’elles prennent ainsi la plus grande part du temps de parole, est lié au phénomène des « experts » que j’ai déjà évoqué : ceux qui s'occupent d'un certain problème sont aussi ceux qui en discutent le plus pendant les réunions. Par contre, les séquences de détente permettent à tout le groupe de participer (cf. le chapitre VII).

Notes
275.

« [...] auch in den hier untersuchten Arbeitsbesprechungen mit ihrem eher informellen Charakter finden sich Beschränkungen hinsichtlich der Beteiligungsmöglichkeiten der einzelnen TeilnehmerInnen. Das offizielle Eröffnen und Beendigen einer Besprechung, das Erzeugen von Zäsuren, das Abschließen von laufenden und das Ankündigen von nächsten Themen, das Bemühen um die Refokussierung einer Diskussion sowie schließlich auch das Formulieren eines Ergebnisses werden nicht von allen Beteiligten realisiert ».

276.

Le groupe analysé par Bierbach est, tout comme celui de la Lutine, un groupe social « naturel » qui utilise un mode d’interaction habituel pendant une réunion. Le facteur crucial qui lie les deux interactions est la « simetriá entre los participantes : no hay ‘hablantes profesionales’, la organización del debate , con sus papeles respectivos, por ej., se negocian « en el acto » y todos los que están presentes tienen, en principio, los mismos derechos de intervención y participación. (Habrá que estudiar en qué medida esta igualdad de principio se relativiza y se crean jerarquías en el curso de la interacción) » (Bierbach 1996 : 520).

277.

Le groupe a beaucoup de points à traiter dans cette réunion ; c’est apparemment pour cela que Rémi pense avoir besoin d’une coordinatrice.

278.

Le degré de structuration dépend de la personne : Maryse a moins la tendance à structurer que Pénélope ou Alphonse.