V.2.1 Militant, alternatif ?

Avant de discuter de la catégorie « squatteur », j’aimerais introduire deux autres catégories qui jouent un rôle pour l’auto-désignation de ceux-ci : celle des « militants », car c'est ce terme qui lie les gens du milieu étudié. « Les militants » est une auto-catégorisation qui regroupe le milieu, qui inclut plusieurs sous-groupes et qui produit une délimitation (habituelle et communicative) vis-à-vis de l’extérieur qui ne milite pas. La deuxième catégorie est celle des « alternatifs », terme qui m’avait semblé approprié au groupe au début de mon étude de terrain, or il s'est vite avéré que les membres du groupe étudié ont des problèmes avec ce terme. J’ai choisi les deux exemples suivants comme première approche du milieu, pour montrer mes propres premiers pas dans le « terrain ».

Voici Suzanne 328 dans une des premières interviews que j’ai enregistrées :

INT. Suzanne :
INT. Suzanne :

Suzanne répond à ma question de savoir si la communication entre les différents groupes alternatifs (le terme « alternatif » est donc déjà évoqué) fonctionne de façon satisfaisante. Dans ce petit extrait, elle semble mélanger les termes « alternatif » et « militant ». Pour mieux faire comprendre que ce n’est pas toujours le cas, j’aimerais, avant d’entrer dans le détail, citer une autre phrase de Suzanne ; il s’agit d’un énoncé non enregistré. Pendant une soirée festive après l’interview, je lui demande comment je peux la présenter dans mon travail. Elle me donne tout d’abord une définition négative : alors moi m'appelle surtout pas alternative et ajoute juste après j’suis une militante moi. Suit une discussion où je lui demande, étonnée, la différence entre les deux termes. Elle m’explique que l’expression « alternatif » l’a déjà gênée pendant l’interview et que celle-ci désignerait des gens qui suivent une certaine mode, qui aiment une certaine musique et un certain style de vêtements. Le terme « militant », par contre, s’appliquerait à des personnes qui ont une activité politique.

Suzanne reprend et utilise dans l’interview, comme nous l'avons vu, le terme alternatif (2, 3) évoqué par moi, sans le commenter. Dans la même séquence, elle passe quand même au terme militants (4), et cela au moment de l’appliquer à des groupes concrets, de donner des exemples – entre autres les squatteurs (5) dont je reparlerai. Quand il s’agit de sa propre personne, elle réagit de façon sensible à la désignation qu'elle considère comme incorrecte. Il semble donc que le terme alternatif soit accepté dans des contextes vagues et/ou abstraits, mais pas approprié pour l’auto-catégorisation.

Sa fonction comme terme généralisant se montre dans le prochain exemple, dans lequel le locuteur fait une remarque métadiscursive en ce qui concerne l’utilisation du mot alternatif:

INT. Rémi :
INT. Rémi :

Rémi utilise le terme « alternatif » pour aller vite (2), pour simplifier ses explications et arriver au point crucial de sa réponse à ma question de savoir si la Croix-Rousse 329 a une signification spéciale pour les squatteurs en général et pour lui en particulier. Le commentaire métadiscursif montre ici aussi une réticence à se catégoriser, soi et les siens, par ce terme.

Voyons maintenant la catégorie « squatteur/squatteuse » sous ses différentes facettes, et commençons avec un exemple qui nous montrera une possible manière d’attribuer des propriétés à cette catégorie.

Notes
328.

Que j’interviewe dans son squatt de filles, elle-même est donc squatteuse.

329.

Quartier traditionnel des squatts à Lyon. Au début de mon étude, durant la phase où j’ai fait les interviews, je voulais étudier des squatts (au pluriel !) à la Croix-Rousse. C’est pour cela que j’ai posé des questions sur ce quartier-là et son importance pour les squatteurs dans les interviews.