Le premier point discuté à propos de la rencontre avec les responsables de la Courly est la question de savoir si le groupe doit s'y rendre en totalité ou y envoyer des représentants. Il y a un consensus sur le fait que être beaucoup (R4/115) est important ; la plupart des personnes présentes pensent même que la meilleure solution serait d’y aller à plein (R4/89, 221,222), voire que tout le groupe y soit. Nicola l’exprime ainsi :
La Courly doit se rendre compte du fait que la Lutine est un groupe, un collectif, dans lequel chaque membre compte ; et même si cette institution est sans doute plus habituée à recevoir des représentants que des groupes au complet (et même si elle se fiche (9/10) des individus dans chaque groupe), elle doit être confrontée avec le groupe Lutine dans son intégralité 353 . Pour Nicola, cela fait partie de l’auto-représentation : il est important que la Courly voit qui en est quoi (10).
Rémi trouve, par contre, que en fait le seul intérêt d'y aller à plusieurs c'est qu'ils voient qu'on est plusieurs mais toutes façons ils le savent (R4/146-147), ne considérant pas comme nécessaire le fait de se montrer comme groupe entier et propose, si le groupe y va à plusieurs, de choisir auparavant une personne ou deux personnes maximum qui parlent (R4/153).
Derrière cette proposition se cache la peur de ne pas être capables de se présenter comme groupe cohérent, bien discipliné, dans lequel tout le monde est d’accord sur certains points. Maryse l’a déjà suggéré auparavant :
Effectivement, si le groupe ne se met pas d’accord à l’avance, chaque individu risque de donner son avis personnel et de se lancer dans des discussions interminables pendant la rencontre, chose embarrassante qui s’est déjà produite pendant d’autres réunions avec l’ALPIL.
Maryse se déclare à la fois d’accord avec la proposition de Rémi et avec celle de Nicola, à l'aide de l’énoncé métadiscursif suivant :
Maryse ajoute ici une composante politique importante, suggérant de montrer les bases féministes du groupe devant les représentants de la Courly. Ceci n’est pas discuté tout de suite, mais un peu plus tard (R4/495-522). J’analyserai l’extrait en question dans VI.2.4, mais en ce qui concerne l’auto-représentation il y a un constat à faire ici : personne ne réagit à la proposition de Maryse. Alphonse n'évoquera à nouveau le sujet que plus tard et attaquera Maryse, qui se défendra sans que personne ne vienne à son secours. Démontrer l’antisexisme du groupe vis-à-vis de la Courly, en tout cas de la façon dont Maryse veut le faire, ne semble donc pas une préoccupation importante.
Romain n’est pas persuadé de la nécessité de choisir des représentants à l'avance, il compte sur le fait qu'il suffit au groupe de se mettre d’accord sur certains comportements à mettre en œuvre pendant la rencontre, puisque pendant les réunions à la Lutine l’organisation des tours de parole se passe bien.
Pour Romain, ce n'est donc pas l'unité du groupe qui doit en priorité être montrée, mais cette sorte de savoir-vivre qui fait qu'on parvient à parler ensemble sans se couper la parole toutes les trois minutes (5). L'important est d'être capable de se montrer civilisés, gens de bonne compagnie.
Une situation, que l'on retrouve d'ailleurs sous des formes plus ou moins similaires dans nombre d'actions de groupes anti-autoritaires, me semble à mettre en lien avec le problème discuté ici : lors d’une manifestation contre MacDonald’s, pendant laquelle les manifestants font un pique-nique juste devant la terrasse de celui-ci au centre-ville de Lyon, le chef du restaurant se présente et demande à parler avec « le responsable » de cette action, celui qui la « dirige », et se trouve ridiculisé par la foule qui répond : « ben, c’est nous, les responsables ».