V.4 Conclusion

Le savoir partagé du groupe qu'est la Lutine inclut la manière de construire ensemble des auto-représentations et des auto-catégorisations. Ces catégories et ces images, à la Lutine comme ailleurs, servent à simplifier en le divisant l'environnement des gens qui les utilisent. Elles donnent des pistes sur les manières d'interagir avec leurs membres. Elles permettent aussi d'expliquer, voire de justifier, certains comportements, manières d'agir ou de penser (« Untel dit ceci parce qu'il est cela »). La construction d’une auto-catégorisation, comme je l’ai précisé plus haut, n’est pas forcément explicite, anisi qu’on le constate dans la plupart de mes exemples où l’expression « squatteur » n’apparaît même pas. Les membres n’ont pas besoin de lexicaliser la catégorie pour construire ensemble leur auto-image, pour exprimer leur identité.

L'auto-catégorisation donne en outre des lignes de conduite, comme ne pas faire de bruit, se présenter comme groupe discipliné, organisé, avec des projets politiques, mais aussi comme être offensif, radical, rebelle : dans le cas de la Lutine, nous avons vu que l’auto-catégorisation est complexe, qu'elle inclut des caractéristiques qui se contredisent (le « squatteur sage » et le « squatteur qui fait peur ») ou qui se complètent parfois (« le squatteur sage » et le « squatteur conquérant »). Ceci, loin d'être un handicap, permet de choisir en fonction du contexte laquelle des caractéristiques va être privilégiée à tel moment. L’exemple hasta la victoria/tout dépend de ton attitude (V.2.11) nous a montré que différents membres du groupe peuvent incarner différents personnages à un même moment dans cette construction collective de l’image du groupe.

L'auto-catégorisation est construite de façon à différencier nettement l'endogroupe de l'exogroupe, en exacerbant les spécificités du groupe. Les différences avec les groupes les plus proches (ici, d’autres squatteurs) sont souvent thématisées. Les spécificités intégrées à l'auto-catégorisation sont la plupart du temps perçues de façon positive par les membres du groupe, même si elles le sont de façon négative par l'exogroupe : il s'agit alors d'un renversement de perspective qui fait partie intégrante de la construction de l'auto-catégorie, comme on l’a vu dans le cas des mineurs en fugue (V.2.10.3).

Le groupe de la Lutine tient aussi à maîtriser l'image qu'il donne à l'extérieur. Cette auto-représentation est travaillée dans des buts tactiques. Il s'agit par exemple de se faire bien voir, ou bien de se montrer fermes, ou sérieux, que ce soit pour obtenir quelque chose de gens qui ont du pouvoir sur le groupe (la Courly), pour être pris au sérieux par des gens avec lesquels on devra traiter (l'ASLIM ; je n’ai pas présenté d’exemple pour cela), ou pour convaincre, faire passer un discours politique (les voisins).

Les catégorisations, l‘auto-catégorisation et l’auto-représentation sont construites collectivement, au cours de l'interactions communicative. Les catégories sont nommées ou non, et on leur attribue des caractéristiques, qui sont par la suite sans cesse remises en question, complétées, précisées, changées.

Après m’être intéressée dans le prochain chapitre au politiquement correct, qui joue un rôle primordial pour notre groupe, je présenterai une forme spécifique de l’auto-catégorisation, qui passe par l’auto-stylisation humoristique et qui nous montrera d’autres facettes de l’image que le groupe aime se donner et quelquefois donner aux autres.