VI.2.3 une histoire de domination claire

Dans le prochain exemple nous trouvons un métadiscours de Maryse sur l’interaction homme-femme, suite à une situation conflictuelle qu’elle caractérise comme directement liée à des questions de rôles genrés dans l’interaction. Il s’agit de son interprétation d’une dispute entre Albert, un ami de quelques Lutinistes, et Pénélope, pendant une fête à la Lutine. Maryse donne son interprétation de cette scène dans R4, où le groupe parle des conséquences à tirer de cet incident.

R4/1734-1754 :
R4/1734-1754 :

Maryse considère le conflit entre Albert et Pénélope aussi comme une histoire politique (12) : en plus d’autres facteurs qu’elle ne nomme pas, c’est l’expression de la domination (5, 13) qui la gène dans le comportement d’Albert.

Le mot « domination » joue un rôle clef dans la discussion politique au sein du groupe ; nous l’avons déjà rencontré (cf. II.3.1) dans le tract de la bourse aux vêtements : « [le refus de] la domination masculine, [...], du couple hétérosexuel comme forme obligatoire de l'affection et de la sexualité ». Nous allons le retrouver dans la définition de la non-mixité (cf. Glossaire) : « Le choix de la non-mixité est un choix politique […]. Nous avons envie de pouvoir dans un temps ou un espace donné, suspendre la domination du genre masculin pour mieux en prendre conscience et apprendre à la combattre » 366 . En utilisant cette expression pour décrire le comportement d’Albert et en le désignant comme une histoire politique, Maryse utilise un style politisé, féministe 367  ; elle exprime ainsi les idées et les valeurs du groupe. Albert, comme on le voit dans la suite de la discussion, est rangé dans une catégorie de personnes – c’est-à-dire ceux qui veulent dominer, et qui ne se rendent même pas compte de leurs comportements dominants – que l’on ne veut plus rencontrer à la Lutine.

Comment s’affiche cette domination dans l’interaction entre Albert et Pénélope ? Maryse parle du fait qu’il laissait pas du tout la parole à Pénélope (3) et qu’il laissait pas p- hmmm passer euh une seule phrase sans que . il prenne le dessus et cetera (3/4). Le fait que ça allait jusqu’aux insultes (3/6, 4/7), remarque faite par Pénélope, n’est pas ce qui gêne le plus Maryse : elle intègre la remarque dans son discours, mais restreint son importance en se refocalisant sur le moment qui précède les insultes, mais bon . avant que ça aille jusqu'aux insultes euh déjà . avant (6/9), donc le moment où Albert dominait « juste » en ne laissant pas la parole à Pénélope : ceci est clairement ressenti comme faisant partie d’un comportement dominant lié aux rôles genrés ; les insultes sont certes inacceptables, mais elles ne jouent pas de rôle dans une définition d’une interaction inégalitaire entre hommes et femmes 368 .

Les interruptions et le partage de la parole sont pourtant considérés comme élément indicateur d’un style aggressif et comme faisant souvent partie d’un style typiquement masculin (cf. Monnet 1997 : 19) ; ceci est pourtant un des points les plus controversés dans la recherche sur l’interaction verbale entre hommes et femmes (cf. Bierbach 2002 : 336) ; je ne veux pas entrer en détail dans cette discussion ici, car ce qui nous intéresse dans cet exemple, c’est le point de vue de Maryse dans sa perspective de membre : un partage de parole inégalitaire affiché d’une manière si agressive qu’elle n’est pas acceptable.

Notes
366.

La domination des hommes sur les femmes n’est pas le seul exemple de domination critiquée par le groupe ; on peut nommer ici la domination des êtres humains sur les animaux, la domination des Blancs sur les « autres », des adultes sur les enfants, etc.

367.

Cf. Bierbach (2002 : 335) qui nomme « la construction de dominance et de contrôle » comme centre d’intérêt dans les études sur langage et genre.

368.

Il y a certes une différence entre les mots d’insulte pour des hommes et pour des femmes, et une discussion là-dessus. Mais je parle ici de l’activité d’insulter dans le discours, qui est également inacceptable dans l’interaction mixte et dans l’interaction non-mixte.