VII.3.4.1 et elle ne s’épila plus

Contexte : Je viens de raconter l’histoire d’une amie qui avait arrêté de s’épiler parce que son petit copain voulait voir, pour une fois, comment se présentent des jambes féminines poilues. Finalement, elle s’est décidée à en finir définitivement avec l’épilation.

et elle ne s’épila plus (POILS/819-844)
et elle ne s’épila plus (POILS/819-844)

Elénie est ravie de la fin de l’histoire que je viens de raconter (1). Laure est tout à fait enthousiaste et fait un lien avec des scénarios montrés dans des films avec des happy end(s) (5). Son rire, qui accompagne ce qu’elle dit, invite les autres à se joindre à elle. Elenie, en s’inspirant de l’énoncé de Laure, change de médium (de « film » à « conte de fées ») et glisse dans le rôle d’une conteuse (13). Elle imite une voix grave, mystérieuse et utilise le passé simple pour résumer mon histoire, ce qui fait rire ses interlocutrices. Laure la finit de manière définitive en imitant la dernière phrase d’un conte de fées classique, en l’adaptant au contexte : ils eurent beaucoup de poils (21, cf. « et ils eurent beaucoup d’enfants »), ce qui provoque de nouveaux rires.

Pourquoi est-ce que je cite cet exemple dans ce chapitre ? Il est sans doute imaginaire, mais où est l’action ?

La réponse à la première question est que dans cet extrait il y a des références à des valeurs communes, il y a une co-construction, il y a des rires collectifs et il y a la construction d’un scénario imaginaire. La réponse à la deuxième question est plus difficile. Il me semble que le fait de se glisser dans le rôle d’une conteuse et de s’imaginer raconter un conte présente bien une action ; soulignons que les deux femmes ne racontent pas une histoire, il ne s’agit pas d’une narration. Il s’agit juste de la fin classique d’un conte, transformée par l’action imaginaire des femmes. Ce qu’elles imaginent est une rébellion des femmes, une transformation des valeurs de la société patriarcale : au lieu de se faire belles (selon la norme sociale dominante, c’est-à-dire en s’épilant), et d’avoir des enfants, les femmes transforment ce qui est considéré comme laid (leurs poils) en atouts (avoir beaucoup de poils, en plus en couple avec un homme – ils eurent beaucoup de poils – est considéré comme happy end). En même temps, ce qui les bloque (beaucoup d’enfants) dans leur épanouissement est transformé en poils qui ne gênent plus. Et dans cette société qu'elles viennent d'inventer, les conteuses qu'elles seront devenues pourront terminer ainsi leur histoire.

Ce happy end n'est finalement que leur propre histoire, leurs propres actions (elles ne s’épilent effectivement plus) qui sont transformées dans l’imaginaire des contes de fées.