Hypothèses concernant le choix d’un titre dans une gamme tarifaire et objectifs de la thèse

Le constat de l’importance des comportements de choix « non » rationnels nous amène à poser deux questions :

le niveau de mobilité et le prix sont-ils les bons critères à prendre en compte ? En effet, si l’on examine le concept de « prix » d’un titre de transport, on se rend compte qu’il renvoie à deux facettes différentes : une facette « avance de trésorerie », le meilleur exemple en étant l’abonnement (j’avance 43€ puis ensuite je me déplace de manière illimitée sans payer), et une facette «prix du déplacement», le meilleur exemple en étant le ticket à l’unité (je ne fais aucune avance de trésorerie, par contre, je paie chacun de mes déplacements au prix fort). Notre hypothèse est que c’est cette double facette du prix qui expliquerait en partie pourquoi les utilisateurs de tickets à l’unité ou de carnets de 10 tickets ayant une mobilité en transport en commun élevée ne choisissent pas plutôt l’abonnement mensuel (ils ne peuvent ou ne veulent pas avancer une somme importante correspondant à l’abonnement, mais préfèrent payer de petites sommes au coup par coup), et pourquoi certains abonnés préfèrent conserver l’abonnement plutôt que d’acheter des carnets de 10 tickets pourtant plus économiques pour une mobilité moyenne en transport en commun (ils préfèrent avancer une somme forfaitaire élevée, et ne plus avoir à se préoccuper d’acheter un titre le reste du mois). D’où l’intérêt de tester l’introduction dans la gamme tarifaire de titres se situant à des niveaux intermédiaires de mise de fond et de coût du déplacement (avec par exemple une mise de fond à 1€ par mois qui permet ensuite au client de ne payer ses trajets que 0.53 € au lieu de 1,30 € avec un ticket unité) de type abonnement à la consommation tel qu’il existe aujourd’hui en France dans le secteur de l’électricité ou de la téléphonie fixe, et qui est construit autour d'un droit d'entrée sur le réseau (la mise de fond) et un prix d'usage du réseau (le prix du kWh, de la minute, du déplacement, etc.). De plus, si le niveau de mobilité est certainement un critère de choix d’un titre, cette approche est peut-être un peu trop restrictive. En effet, si une partie de la clientèle a des habitudes de déplacement en transport en commun et connaît donc à l’avance ce que sera son niveau de mobilité (en transport en commun), il est possible que d’autres clients soient dans l’incapacité de dire à l’avance combien ils feront de déplacements, et choisissent de fait un titre qui ne les engage pas sur un mois. Il faudrait donc introduire comme critère complémentaire l’incertitude sur la variabilité de la mobilité en transport en commun.

le niveau de mobilité et le prix sont-ils les seuls critères à prendre en compte : on peut en effet se demander si d'autres facteurs que le niveau de mobilité en transport en commun et le prix n'influent pas de manière tout aussi importante sur le choix d’un titre de transport pour certains clients. Quels sont ces « autres » facteurs explicatifs, et quel est leur poids respectif vis à vis du choix du titre ? Sont-ils les mêmes pour tous les clients, ou faut-il établir une segmentation de la clientèle, et ce, en fonction de quels critères ?

De plus, parmi les clients du réseau, nous ne savons finalement pas si certains ne se sont pas décidés pour un titre de transport par défaut car c’est le « moins mauvais » par rapport à leurs besoins. Quels sont les critères qu’ils privilégient dans le choix du titre actuel, et dans l’absolu, quels sont ceux qu’ils privilégieraient si d’autres possibilités leur étaient proposées ? Cela pose également la question de savoir si certains clients, qui apparaissent aujourd’hui comme ayant un comportement « rationnel » en choisissant le titre le mieux adapté à leur niveau de mobilité, ne « maîtrisent » pas leur mobilité en transport en commun car le prix « psychologique » du déplacement supplémentaire leur parait trop élevé. Ce questionnement accroît l’intérêt de tester des titres se situant à des niveaux intermédiaires de mise de fond et de prix du déplacement qui pourraient générer une augmentation de trafic auprès de clients du fait du coût marginal faible du déplacement supplémentaire.

Face à ces questions, les objectifs de cette étude sont multiples. Dans un premier temps il s’agira de mettre en évidence quels sont les principaux facteurs expliquant le choix d’un titre de transport. Ceux-ci risquent de ne pas être les mêmes pour tous les clients, il faut faire émerger les plus importants. Dans un deuxième temps, il s’agira de déterminer le poids de ces facteurs pour des segments de clientèle homogènes qu’il faudra définir. Ces éléments pourraient permettre d’appréhender plus finement les réactions de la clientèle à des modifications de l’environnement des titres actuels (quel impact sur la clientèle si l’abonnement mensuel devient glissant sur un mois, ou si l’on décide d’instaurer un abonnement « au porteur », c’est-à-dire impersonnel, si on introduit un carnet à 15 ou 20 tickets, etc.).

Nous avons fait le choix de restreindre ce travail aux personnes utilisant les trois titres principaux de la gamme « grand public », c’est-à-dire le ticket unité, le carnet de 10 tickets ou l’abonnement, pour plusieurs raisons. D’une part, il s’agit d’un segment de clientèle porteur d’enjeux dans la mesure où il représente la majorité des recettes (64%) et une part importante des déplacements (41%), et sur lequel on dispose paradoxalement de peu d’informations. En effet, les études menées par les réseaux se concentrent souvent sur des segments plus spécifiques, les étudiants ou les seniors par exemple. D’autre part, multiplier les segments de clientèle enquêtés, c’est courir le risque de ne pas pouvoir analyser en détail chacun d’eux et de potentiellement passer à côté de petits groupes au comportement spécifique, le nombre de personnes à enquêter étant limité par notre budget. Le risque est également de complexifier le processus d’enquête, ce qui accroît d’autant le risque d’erreur.

Nous soulignons enfin que ce travail n’apportera pas d’éléments nouveaux concernant les élasticités de la demande au prix. En effet, la méthodologie utilisée, que nous présentons ci-après, ne permet pas d’estimer la mobilité induite par la modification d’un titre ou l’introduction d’un nouveau titre dans la gamme 3 . D’autres méthodes appartenant à la même famille auraient pu le permettre au détriment toutefois de l’estimation du poids des facteurs explicatifs, ce qui aurait été dommageable par rapport à notre questionnement.

Notes
3.

Cf. UTP-CERTU-DTT-GART, [2002], op. cit.