1.1.2.2.2.La controverse de la tarification au coût marginal

La controverse de la tarification au coût marginal a débuté avec l'article d'Hotelling 12 . L'argument d'Hotelling est que la tarification au coût marginal doit être appliquée même dans le cas des firmes dotées d'économies d'échelle. Cette tarification se traduit par un déficit qui doit être financé par un prélèvement fiscal forfaitaire. Il propose un impôt sur la terre, sur le revenu ou sur les héritages. La justification de cette politique est qu'elle permet d'atteindre l'optimum parétien. Toutefois, le financement de la subvention qu'il faudrait verser à la firme pour couvrir son déficit est problématique. D'une part, l'optimum parétien ne sera atteint que si l'impôt affecte des facteurs de production ou des biens de consommation dont la demande est totalement inélastique, ce qui n'est pas assuré pour le travail. En effet, si l'impôt sur le revenu modifie l'arbitrage travail / loisir des consommateurs, il entraînera une modification des prix relatifs, le transfert n'est donc pas neutre, et provoque des distorsions. D'autre part, le versement d'une subvention pose des problèmes d'équité. Il y a redistribution des contribuables vers les usagers, redistribution ne vérifiant pas forcément un critère d'équité. En effet, le passage d'une situation où le coût de production est intégralement financé par les consommateurs à la tarification au coût marginal entraîne des gains pour certains (les usagers) et des pertes pour d'autres (les contribuables), dont on ne sait s'ils vérifient le principe de compensation d'Hicks et Kaldor (les gains des gagnants sont supérieurs aux pertes des perdants). En outre, lorsque le coût de production d'un secteur est intégralement financé par les consommateurs, il est assuré que son activité est socialement désirable, dans la mesure où la disposition à payer des consommateurs est supérieure aux coûts de production. Par contre, rien ne permet de l'affirmer lorsqu'une partie des coûts est subventionnée. C'est alors à l'Etat de juger de la rentabilité sociale du secteur, de la politique tarifaire, de l'investissement et de la subvention. Ceci nécessite une quantité importante d'informations sur le secteur, dont l’Etat ne dispose pas forcément.

Certains auteurs, comme Maurice Allais, ont critiqué la nécessité de réglementer et de subventionner le monopole naturel pour atteindre l'optimum parétien, en s'appuyant sur une analyse de Jules Dupuit. Ce dernier a en effet montré que l'on pouvait obtenir le même résultat avec un monopole discriminant, qui vendrait chaque unité à un prix égal à la disposition marginale à payer. Alors, la maximisation du profit ne génère pas de perte sociale, mais cela n'est pas forcément équitable dans la mesure où la firme s'approprie le surplus des consommateurs (nous développerons ces idées dans la troisième partie).

Deux points relatifs à la controverse de la tarification au coût marginal seront approfondis : la possibilité de décentraliser la tarification optimale (nous expliquons ce concept ci-après) et les propriétés normatives de la tarification à deux composantes.

Tarification dans le domaine de l’électricité (Ministère de l’industrie et des Finances, 2000)
L’étude de la tarification d’EDF est particulièrement intéressante en ce sens qu’elle représente une application concrète des apports théoriques en matière de tarification du monopole public.
Ainsi, du point de vue théorique, la tarification d’EDF se fonde sur le concept des coûts marginaux de long terme, ou coûts de développement du système électrique national (où réseaux et production sont intégrés). Ces coûts correspondent au parc théorique optimal en se projetant sur un horizon de plusieurs années (et en prenant pour hypothèse que le parc sera effectivement optimal à cette échéance). Le parc optimal est construit en optimisant les programmes d’investissements de production. Le coût marginal d’un investissement supplémentaire pour produire un kW doit être à l’optimum égal au gain marginal de mise à disposition d’un kW supplémentaire.
Une fois défini le parc optimal, EDF répartit les coûts suivant les périodes horo-saisonnières en utilisant les coûts de court-terme qui résultent de la confrontation entre l’offre et la demande. Ces coûts sont calculés de manière probabilistique (en espérance) car les vrais coûts sont soumis aux aléas de la consommation et de la production (aléas climatiques, sur la disponibilité…) et deviennent par la suite des coûts marginaux horaires.
Toutefois, la tarification sur la base des coûts marginaux de long terme ne garantit pas l’équilibre budgétaire de l’entreprise (les coûts comptables et les coûts économiques ne coïncident pas exactement et le parc n’est jamais vraiment optimal). Un « péage » est alors nécessaire, qui est défini comme suit :
Le passage des coûts marginaux aux tarifs s’effectue par la multiplication du même taux de péage pour tous les consommateurs, la modulation des marges selon l’élasticité de la demande apparaissant comme trop compliquée.
Les tarifs, comme les coûts de développement, sont binomiaux, c’est-à-dire basés sur un prix de la puissance (abonnement) et sur un prix de l’énergie (consommation variable), ce qui permet de différencier les usages qui nécessitent de fortes puissances sur les périodes courtes, des usages de puissance plus faibles sur des périodes plus longues. Ces tarifs dont par ailleurs encadrés par les Pouvoirs Publics qui se servent de deux outils : les coûts de référence de la production d’électricité et du contrôle annuel des tarifs dans le cadre du contrat d’entreprise.
La structure tarifaire doit obéir à plusieurs contraintes : elle doit être efficace, incitative, lisible par le client et adaptée à ses besoins. Ainsi la structure tarifaire est plus ou moins simple suivant la sophistication des besoins du client (simple pour les particuliers, plus complexes, mais également plus souple pour les industriels).
De plus, chaque gamme tarifaire présente des options qui permettent de « révéler » leurs préférences. EDF propose une option heures creuses, qui permet de bénéficier d’un tarif réduit du KWh consommé en heures creuses, de 22h30 à 6h30, pour un prix de l’abonnement fixe plus élevé. On peut également choisir les options EJP (effacement jours de pointe), Modulable et Tempo (les abonnés à ce système consomment pendant 300 jours à un tarif très réduit, en heures de pointe comme en heures creuses (les jours bleus), 43 jours à un tarif plus élevé que le tarif normal (les jours blancs) et 20 jours à un tarif très élevé, voire dissuasif (les jours rouges)). Ces options sont intéressantes pour les clients qui peuvent déplacer leurs consommations des heures de pointe vers les heures creuses.
Notes
12.

HOTELLING H., [1938], The general welfare in relation to problems of taxation and railway and utility rates, Econometrica, 6, pp. 242-269.