1.1.2.2.4.Tarification à deux composantes

La tarification à deux composantes ou tarification binôme consiste à faire payer aux consommateurs un droit de consommer (un abonnement) d'un montant fixe et un prix unitaire constant. Le prix moyen payé par l'usager décroît avec la quantité consommée, la tarification est donc non linéaire. On peut également envisager des formes plus complexes avec un prix unitaire variable (dégressif, différent suivant l'heure d'utilisation du service etc.).

La tarification à deux composantes représente une solution intéressante au problème de la gestion de monopoles naturels car l'abonnement peut servir à combler le déficit dû à une tarification au coût marginal. On évite ainsi le recours à toute forme de subvention qui peut introduire des distorsions. En effet, le paiement de l'abonnement est forfaitaire car il correspond à un effet revenu, bien que l'on puisse se demander si c'est toujours le cas. La tarification à deux composantes, qui concilie à la fois la tarification au coût marginal du monopole naturel et la contrainte budgétaire, permet théoriquement d'atteindre l'optimum parétien de premier rang.

Un tel type de tarification est notamment utilisé dans le domaine des télécommunications et dans celui de la distribution de l'eau, du gaz et de l'électricité. Il se base sur l'hypothèse que la demande générale d'accès au service est moins élastique que celle correspondant au degré d'utilisation du service. Un tarif binôme consistera donc à fixer une somme d'autant plus élevée pour le montant fixe et d'autant plus faible pour la partie proportionnelle que l'élasticité de la demande d'utilisation est relativement plus importante. Cependant, ce résultat doit être nuancé lorsque l'on tient compte du nombre de consommateurs potentiels. En effet, certains consommateurs peuvent être rebutés par le prix de l'abonnement lorsqu'ils jugent leur propre consommation trop faible pour acquitter un tel «droit d'accès au réseau». Ceci risque d'être le cas dans les transports en commun, de nombreux clients les utilisant de manière irrégulière. Le nombre de consommateurs, fixe en cas de tarification linéaire, devient variable avec l'introduction d'une tarification à deux composantes.

Deux cas doivent être distingués :

L'analyse de la tarification à deux composantes lorsque le nombre de consommateurs est variable repose sur les travaux de Berg et Tschirhart (cités par Croissant, 1994) 15 qui ont repris et modifié le modèle développé par Ng et Weisser 16 . Nous nous limiterons cependant à reprendre les hypothèses et les principales conclusions de ces travaux.

Les auteurs montrent que si le nombre de consommateurs est variable, alors la tarification au coût marginal n'est optimale que si la consommation du consommateur marginal est égale à la consommation moyenne. Si ce n'est pas le cas :

le prix est supérieur au coût marginal si la consommation moyenne est supérieure à celle du consommateur marginal car une réduction de l'abonnement permet d'attirer de nouveaux consommateurs sur le marché ;

le prix est inférieur au coût marginal si la consommation moyenne est inférieure à celle du consommateur marginal : en effet, dans ce cas, du fait de la forte consommation potentielle des consommateurs marginaux, ceux-ci sont plus sensibles à une baisse de prix qu'à une réduction de l'abonnement. Pour les inciter à entrer sur le marché, et à payer l'abonnement, il faut réduire le prix en deçà du coût marginal.

In fine, ils aboutissent à la conclusion que, dès que le nombre de consommateurs est variable, la tarification à deux composantes ne permet pas d'atteindre l'optimum parétien de premier rang. La raison en est que certains consommateurs potentiels n'entrent pas sur le marché alors que leur disposition marginale à payer pour le bien est supérieure au coût marginal de production.

Vogelsang 17 (cité par Croissant, 1994) a proposé une procédure qui incite la firme réglementée à appliquer la tarification à deux composantes optimale. Cette procédure consiste à imposer à la firme à chaque période une contrainte reliant le prix unitaire au montant de l'abonnement. La firme doit ajuster le prix unitaire et le montant de l'abonnement de telle manière que le profit correspondant à la quantité consommée et au nombre de consommateurs de la période précédente soit négatif ou nul. Toutefois, pour être viable, la firme doit être un monopole naturel fort, caractérisé par un coût moyen décroissant.

On constate, suite à la présentation des procédures mises en avant pour tenter de trouver une réponse à la controverse de la tarification au coût marginal pour les monopoles naturels forts, que ce type de tarification reste problématique : si elle est linéaire, la firme sera nécessairement déficitaire, ce qui entraîne le versement d'une subvention par la tutelle, dont le financement risque d’entraîner des distorsions dans l'économie et risque d'être inéquitable. En outre, la décentralisation de la tarification au coût marginal est difficile à mettre en œuvre. L'application d'une tarification à deux composantes peut alors être une solution au problème du déficit. Mais alors, la tarification au coût marginal ne sera optimale que si les considérations redistributives ne sont pas pertinentes et si le nombre de consommateurs est fixe. C'est le cas pour les biens de première nécessité ou lorsque les consommateurs sont obligés d'entrer dans le marché (l'abonnement est alors équivalent à un impôt par tête), donc dans deux cas limités. On ne peut trouver une solution d'ensemble satisfaisante lorsque la situation est plus compliquée. C'est pourquoi la tarification au coût marginal ne connaît pas d'applications pratiques dans le domaine des transports. Elle reste toutefois le modèle tarifaire de référence vers lequel il faudrait tendre (Boniver et Sak, 1994).

Pour tenir compte des différentes contraintes et particularités des services publics de transport, d'autres modèles tarifaires, qui gardent cependant certains points communs avec la tarification au coût marginal, ont été proposés. La tarification de second rang ou tarification de Ramsey-Boiteux, si elle introduit par exemple une contrainte d'équilibre budgétaire, vise malgré tout à obtenir une solution optimale en minimisant la déviation qui en résulte par rapport à la tarification optimale.

Notes
15.

BERG S., TSCHIRHART J., [1988], Natural monopoly regulation, Cambridge University Press.

16.

NG Y., WEISSER M., [1974], Optimal pricing with a budget constraint : the case of the two-part tariff, Review of Economic Studies, 61, pp. 337-345.

17.

VOGELSANG I., [1989], Two-part tariffs as regulatory constraints, Journal of Public Economics, 39, pp. 49-66.