1.1.3.4.Prise en compte des effets redistributifs

En théorie, la tarification de Ramsey-Boiteux est celle qui permet d'aboutir à la maximisation du bien-être social si la tutelle est en mesure de redistribuer les revenus de manière forfaitaire. Ces transferts forfaitaires correspondent à une séparation totale entre les effets allocatifs et redistributifs de la réglementation, ce qui dans la réalité est, comme l'avons vu précédemment, impossible. Dés lors, les prix optimaux résultent d'un arbitrage entre les considérations d'efficacité et d'équité.

La tarification de Feldstein (1972) représente un compromis entre les préoccupations d'efficacité allocative et les préoccupations d'équité. Elle permet de nuancer les effets indésirables de la tarification de Ramsey - Boiteux. En effet, cette dernière impose que l'écart relatif prix-coût marginal soit d'autant plus grand que la demande est inélastique. Or les biens pour lesquels la demande est inélastique sont souvent des biens de première nécessité. Avec la tarification de Feldstein, l'efficacité de la tarification de Ramsey - Boiteux est en partie contrebalancée par un facteur d'«équité», la composante redistributive.

La firme réglementée doit se comporter comme un monopole divisant toutes les élasticités-prix par un coefficient propre à chaque bien, celui-ci étant d'autant plus élevé que le bien est principalement consommé par des personnes à bas revenu. En effet, l'application de la tarification de Feldstein peut entraîner une tarification en dessous du coût marginal pour le bien qui a la plus forte composante redistributive et une tarification au-dessus du coût marginal pour celui qui a une faible composante redistributive.

Toutefois, Bös 30 (cité par Croissant, 1994) souligne qu'il n'est pas certain que le bien de première nécessité soit favorisé par la tarification de Feldstein dans la mesure où la redistribution n'est pas réalisée de manière directe en fonction des revenus, mais de manière indirecte en fonction de la structure de consommation. De plus, la détermination empirique des prix de Feldstein pose deux problèmes. D'une part, il faut renoncer à l'hypothèse de consommateur représentatif, très souvent utilisé dans les applications empiriques. En effet, afin de prendre en compte les considérations redistributives, il est nécessaire d'introduire dans l'analyse la distribution des revenus et la structure de la consommation en fonction du revenu. D'autre part, il faut spécifier les caractéristiques de la fonction d'utilité car les poids sociaux des individus sont une composante de la détermination des prix. Ceci implique qu'il n'existe pas de tarification de Feldstein : à chaque fonction d'utilité collective imaginable est associée une tarification de Feldstein spécifique. Plus généralement, les prix déterminés ont un aspect arbitraire car ils dépendent de la forme de la fonction d'utilité retenue. Ce type de tarification présente en outre l'inconvénient de ne pouvoir être décentralisé.

Nous avons vu que comment la tarification à l’équilibre budgétaire se justifiait pour limiter certains effets pervers liés à l’existence d’un déficit provoquée par la tarification au coût marginal des monopoles. La maximisation du bien-être social implique alors la mise en place d'une tarification correspondant à la maximisation «modérée» du profit, la tarification de Ramsey-Boiteux. Il est possible de décentraliser ce type de tarification, en plaçant l'entreprise réglementée dans un environnement qui l'incite à l'appliquer d'elle-même. Il est également possible d'imposer à l'entreprise un objectif plus concret et plus aisément contrôlable, la maximisation de la clientèle. Cependant, cette dernière génère une perte sociale, et, à notre avis, elle ne permet pas de résoudre les problèmes posés par la tarification de Ramsey-Boiteux. En fait, un des principaux reproches que l'on puisse adresser à la tarification de Ramsey-Boiteux est qu'elle repose sur l'hypothèse de parfaite séparation entre les effets allocatifs et redistributifs. En effet, elle repose sur l'idée que la redistribution est effectuée sans coût par l'intermédiaire de transferts forfaitaires de revenus. Or, dans la réalité, il y a nécessairement des distorsions provoquées par ces transferts, on ne peut donc ignorer les effets redistributifs de la tarification. La maximisation du bien-être social conduit donc à appliquer la tarification de Feldstein qui arbitre entre efficacité et équité. Cependant, ce type de tarification présente l'inconvénient d'être complexe à mettre en œuvre, car nécessitant un grand nombre d'informations, et ne peut être décentralisé. L’autre reproche que l’on peut faire adresser à la tarification de Ramsey-Boiteux est que sa mise en œuvre pratique soulève un certain nombre de difficultés comme notamment la connaissance des élasticités dont l’expression dans le cas général est extrêmement complexe (Baumstark, 1997).

Cependant, cette tarification conduit à une ouverture théorique puisqu’elle introduit le concept d’élasticité de la demande, qui fonde la démarche sur l’analyse de la demande. Il n’y a plus qu’un pas à ce que l’on considère non seulement l’élasticité de la demande sur différents segments de marché mais également l’élasticité des différentes demandes qui s’expriment sur un même marché. On introduit et justifie des différences de prix pour un même bien, pour un même usage…en raison des différences de prix de réservation des usagers (Baumstark, 1997). Cette logique est celle de la captation du surplus que nous aborderons dans le paragraphe suivant.

Notes
30.

BÖS D., [1985], Public pricing with redistributional aims, in : Finsinger J. Ed., pp. 171-188.