1.2.1.Des pratiques tarifaires marquées par l’histoire

1.2.1.1.Les Trente Glorieuses ou la mort à petit feu des transports collectifs urbains

Au cours des Trente Glorieuses, les collectivités locales ne se sont que très peu impliquées dans les transports collectifs urbains car les enjeux sont ailleurs. En effet, dans un contexte socio-économique marqué par une croissance très forte, leurs efforts sont tournés vers les politiques du logement et de l’habitat mais aussi de « socialisation du confort urbain », c’est-à-dire l’entrée dans les foyers des biens et des services industriels : téléphone, électricité, eau… L’autre enjeu primordial est de s’insérer dans l’ensemble du territoire national, en multipliant les infrastructures routières de liaison, les « pénétrantes », les « rocades », les parkings urbains. Ainsi, l’élévation des niveaux de vie doit fournir à chacun l’opportunité de détenir sa voiture. Dans ce contexte, les collectivités locales appréhendent les transports collectifs urbains comme une « prothèse sociale  » , réservée aux exclus de l’automobile (Le Breton, 1999).

Comme les collectivités locales, l’Etat est accaparé par d’autres priorités : il soutient des programmes qui lui permettent de concilier à la fois l’industrie, l’emploi et l’aménagement du territoire. Lorsque les transports collectifs urbains sont évoqués dans les plans, ce n’est que pour programmer la suppression des réseaux de tramways (Troisième Plan) ou celle des trolleybus qui ont remplacé, dans certaines agglomérations, les tramways (Cinquième Plan). Ce plan ne retient d’ailleurs même pas les préconisations du rapport Buchanan 35 de préserver les transports collectifs pour la desserte des centre-ville.

Les exploitants sont les acteurs dominants du secteur pour trois raisons (Le Breton, 1999) :

  • ils détiennent un monopole sur la compétence technique, car les collectivités ne disposent pas de services techniques susceptibles de contrôler l’expertise dans ce domaine.
  • Ils exploitent les réseaux sous le régime de contrats à « risques et périls », régime qui s’inscrit dans un contexte idéologique de séparation des sphères publiques et privées. Ces contrats impliquent que l’entreprise assume l’investissement de création du réseau (d’où une durée des contrats très longue afin d’amortir les investissements), l’exploite à ses frais et se rémunère grâce aux tarifs appliqués aux usagers, sans que la collectivité ait à prendre en charge le moindre déficit.
  • Comme nous l’avons vu précédemment, les élus locaux ou nationaux, ont d’autres sujets de préoccupation. Il semble alors que le droit ait été un outil permettant aux élus de se défaire d’un service qui ne les intéressait pas beaucoup.

Or, ces exploitants sont ancrés dans une conception industrielle de leur métier : ils considèrent la production des « places-kilomètre » comme étant le cœur de leur métier, ce qui peut être en partie expliqué par le rattachement de nombreux exploitants au monde de la production industrielle (par exemple, production de l’énergie pour Grenoble ou Besançon). De ce fait, ils n’ont pas forcément développé de compétences leur permettant d’anticiper la demande des usagers, d’adapter leur production à ces anticipations puis de les réajuster en fonction des évaluations faites sur le terrain.

Dans ces conditions, les transports collectifs urbains se dégradent continûment jusqu’au début des années 70, et frôlent la faillite.

Notes
35.

BUCHANAN R., [1963], Traffic in towns.