1.2.1.2.Le renouveau des transports collectifs urbains dans les années 70

Plusieurs facteurs sont à l’origine du renouveau des transports collectifs urbains, au début des années 70. D’une part, toutes les agglomérations souffrent du paradoxe de Reichman, selon lequel la multiplication d’un outil de liberté individuelle, la voiture, restreint la liberté collective (Le Breton, 1999). En effet, l’accroissement du trafic urbain génère un certain nombre de nuisances et contribue sans doute à la diffusion d’une représentation « urbaphobe  » des villes-centre (Kaufmann, 1999). De plus en plus de voix s’élèvent pour l’existence d’une alternative crédible à la voiture. Progressivement, le modèle de développement des villes qui prévalait au cours des Trente Glorieuses, d’inspiration américaine (l’idéal-type californien, Kaufmann, 1999), est remis en cause, et un nouveau modèle apparaît, d’inspiration rhénane. D’autre part, la Ville acquiert un statut politique de premier ordre et « s’autonomise » : on ne s’intéresse plus seulement à son insertion dans les réseaux nationaux, mais également à son fonctionnement interne, à sa cohérence. En parallèle, les outils conceptuels de l’aménagement urbain se diversifient : les pratiques de la séparation fonctionnelle des lieux sont remises en cause, et des idées portant sur la mixité se développent. Enfin, des changements sociaux et politiques se poursuivent : des dispositions sont votées qui visent à rendre le fonctionnement des administrations plus simple, plus réactif à leurs environnements, plus transparent aussi, mais également à faciliter l’implication des citoyens dans l’administration quotidienne, notamment celle des villes et la gestion des projets urbains.

Le colloque de Tours se fait en quelque sorte l’écho de ces évolutions, et des critiques qui en sont la conséquence, critiques à l’encontre du système global des transports urbains. On peut considérer ce colloque comme fondateur en ce sens qu’il peut être considéré comme le moment institutionnel où la dynamique de changement de conception est particulièrement visible (Le Breton, 1999). Deux évolutions majeures vont en émerger :

  • Les entreprises vont progressivement intégrer les outils et les références gestionnaires élaborés dans d’autres secteurs d’activité : marketing, information et communication, techniques commerciales…
  • Le secteur va acquérir un nouveau statut dans l’aménagement et la gestion des villes. Cela se traduit par l’instauration d’une relation tripartite, entre l’utilisateur, l’élu et l’exploitant.

Après ce colloque, d’autres dynamiques vont se mettre en œuvre, notamment la transformation du cœur de métier de transporteur : le secteur se concentre, sous l’autorité de trois groupes : Via GTI (aujourd’hui Kéolis), TRANSDEV, CGEA-CGFTE (aujourd’hui Connex), ce qui permet une meilleure structuration des filiales grâce à l’élaboration de certaines doctrines (tous les réseaux doivent se doter d’une direction marketing et/ou de l’action commerciale par exemple), et une diffusion des savoirs et des techniques.

Parallèlement, les collectivités locales s’impliquent dans les transports publics urbains : les villes développent l’intercommunalité notamment pour atteindre la taille critique qui leur permet d’accéder au versement transport (nous définissons ci-après ce qu’est le versement transport), ce qui va permettre d’adapter les territoires administratifs aux territoires de la mobilité. Quant au statut des personnels communaux, il va être fortement amélioré afin d’attirer de nouvelles compétences, tournées également vers l’urbanisme et l’aménagement.

Le partenariat des collectivités locales et des transporteurs va également en être modifié : la formule de contrat « aux risques et périls » de l’exploitant disparaît quasiment au profit d’une gestion déléguée 36 . Quant à la durée des contrats, elle est considérablement réduite : de 50 voire 100 ans, elle passe pour une majorité de réseaux à 5 ans.

Une nouvelle source de financement est créée en 1971 : il s’agit du versement transport, créé d’abord pour la région parisienne. Il s’agit d’une taxe assise sur la masse salariale des entreprises de plus de neuf salariés. Il a été étendu en 1973 aux agglomérations de plus de 300 000 habitants, en 1974 à celles de plus de 100 000 et en 1982 à celles de plus de 30 000 habitants. Cette nouvelle ressource va permettre de lancer de grands programmes d’accroissement de l’offre et de réalisation d’infrastructures lourdes de type métro. Ces projets seront également appuyés par l’intervention de l’Etat, dans le cadre de contrats passés avec les autorités organisatrices de transport public urbain : contrats de développement en 1976, contrats de productivité en 1986, plutôt tournés vers l’amélioration de la productivité et de la qualité de service, contrats de modernisation en 1988, plutôt orientés vers les techniques modernes d’exploitation, les instruments d’informations des voyageurs et les aménagements de voirie facilitant la circulation des transports collectifs (Croissant, 1994).

Sur le plan de la tarification, cette nouvelle « donne » s’est traduite par une forte implication des pouvoirs publics (Etat et Collectivité) et une clarification de leurs rôles respectifs : l’Etat encadre les prix, mais progressivement les collectivités locales vont prendre en charge la politique tarifaire des réseaux, et grâce aux subventions qu’elles vont désormais verser, elles vont permettre l’assouplissement de la contrainte d’équilibre budgétaire.

Notes
36.

Pour une étude des différents types de contrats, voir CAILLAUB B., QUINET E., [1992], Analyse du caractère incitatif des contrats de transports urbains, ENPC/DTT, Paris.