1.2.2.2.1.Evolution des principes de tarification

  • Le développement du tarif «  plat  »

D'une tarification à la longueur du parcours (selon le principe du sectionnement d'une ligne) et distincte selon les modes de transport utilisés (bus, tramway), les transports collectifs urbains sont progressivement passés à une tarification unifiée du déplacement dès lors qu'il reste inclus dans le périmètre de transport urbain (quand celui-ci n'est pas excessivement large), et ce quel que soit le mode utilisé. Seule la tarification des réseaux SNCF internes aux PTU reste en général particulière, à l'exception notable de la tarification des abonnés carte orange ou carte Imagine»R» de l'Ile-de-France. L'unité de base de la tarification qui était le trajet sur une distance limitée est devenue dans presque tous les réseaux le déplacement (avec libre correspondance entre l'origine et la destination). Dans plusieurs réseaux, l'unité de base de la tarification est même devenue un laps de temps durant lequel la libre circulation est autorisée parfois même avec l'aller-retour compris. Cette unité tarifaire peut être 3/4 d'heure ou 1 heure de libre circulation sur le réseau, voire plus longtemps. (Hanrot et Lehuen, 2002)

Cette évolution relève d’une part d’une logique redistributive : en France, les ménages les moins favorisés étaient traditionnellement rejetés dans les banlieues lointaines, or la majorité des déplacements a pour origine ou destination le centre-ville, donc appliquer un tarif unique revient, de manière caricaturale, à subventionner les déplacements longs des couches de la population les moins aisées par les déplacements plus courts des populations aisées (Massot, 1994). Cette évolution s’appuie également sur une volonté d’égalité de tous face au service public (une des grands principes à respecter) et par une volonté de simplification à la fois pour l’exploitant (billetterie, contrôle, communication) et pour le client (objectif de favorisation des reports modaux vers les transports collectifs), alors que dans de nombreux pays européens (l’Allemagne, la Grande Bretagne, la Suisse, les Pays-Bas), la tarification à la distance reste le principe le plus courant de tarification.

  • Le développement des forfaits «  libre circulation  »

Aux abonnements travail ou scolaire qui donnaient droit à un nombre de déplacements limité sur une période déterminée (à raison de 1 aller retour par jour ouvrable ou scolaire, ces déplacements étant eux-mêmes parfois déterminés quant à leur origine et leur destination) se sont substitués le plus souvent des forfaits libre circulation pendant une période de temps déterminée (7 jours ou hebdomadaire, 30 ou 31 jours ou mensuelle, et depuis peu annuelle). Parallèlement, les réseaux des villes universitaires ont commencé à créer des forfaits libre circulation à prix réduit pour les étudiants, mais néanmoins plus chers que pour les scolaires. (Hanrot et Lehuen, 2002)

Ce type de titres présente deux avantages importants en terme d’image pour le réseau : d’une part, il simplifie l'accès au service (ce qui est important pour attirer des clients qui ne connaissent pas le fonctionnement du réseau, et ont donc des appréhensions par rapport à son utilisation), et d’autre part, il donne une dimension de liberté très attractive pour la clientèle dans un univers où l'accès aux réseaux de communication est de plus en plus facile et forfaitisé, et où les besoins de déplacement pour motif personnel se développent, sont plus aléatoires et donc moins facilement programmables que ne l'étaient les déplacements domicile école ou travail par le passé (on ne raisonne désormais plus sur des déplacements, mais sur des programmes d’activités). Les réseaux poursuivent également un autre objectif avec la diffusion de ces forfaits, il s’agit de la fidélisation de la clientèle. Par contre, le prix de ces abonnements a parfois été, pour des raisons stratégiques et commerciales du moment, fixés à des niveaux souvent relativement bas (Via TRANSEXEL, 1988). Or il est toujours assez difficile de revenir sur des réductions accordées en d’autres temps. D’autre part, ces abonnements, s’ils ont perdu leurs références explicites à la notion de statut, correspondent à une utilisation précise du réseau (au minimum 10 déplacements par semaine pour être rentable, ce qui correspond à 1 aller-retour domicile-travail ou études par jour ouvrable), et ne sont pas adaptés à d’autres types de mobilité.

On constate que ces deux principes de tarification, le développement du tarif unique et des forfaits libre circulation, s’ils ont permis de redynamiser les gammes tarifaires qui souffraient au début des années 70 d’une image un peu contraignante à une époque où la notion de liberté devenait une valeur centrale (« il est interdit d’interdire »), conduisent à s'écarter d'une tarification à la consommation et à la distance. Cela peut s'avérer pénalisant pour certains usages (les petits trajets par exemple), et cela ne permet pas de révéler certains marchés (les «occasionnels réguliers» par exemple).

De plus, ces principes, qui s’appuient sur la notion d’égalité, posent certains problèmes d’équité. Nos traitements nous permettent en effet de mettre en évidence que parmi les utilisateurs de tickets unité se déplaçant beaucoup en transport en commun avec des tickets unité, une proportion importante de personnes ont de faibles revenus et sont captifs des transports en commun (Cf. chapitre 3 §1.3.2.1). Ils achètent ce titre probablement parce qu’il représente une faible avance de trésorerie. Ces personnes payent alors le prix fort pour un déplacement. On pourrait objecter que ces personnes peuvent bénéficier de tarifs sociaux. Toutefois, les critères permettant d’accéder à ces titres sociaux sont parfois nombreux, et ne concernent que les personnes dont la situation est très précaire. D’autre part, on parle de plus en plus des « travailleurs pauvres », c’est-à-dire des personnes ayant un emploi, mais qui leur suffit tout juste à (sur)vivre. Cette situation peut découler d’une succession d’emplois précaires (intérim, CDD), mais également de contrats à durée déterminée à temps partiels. Ces personnes peuvent être amenées à se déplacer beaucoup mais sur une période courte (la semaine, 15 jours, 3 jours par semaine …). Or, ces titres à tarif unique, correspondant finalement à des types de mobilité précise, manquent de souplesse et ne permettent pas de répondre à ces besoins.