1.4.Conclusion : la révélation des préférences des individus, un élément central à toute politique tarifaire, qui reste problematique

L’étude de la théorie économique nous a permis de mettre en évidence les préconisations des différents courants concernant la politique tarifaire à mettre en œuvre dans le cas d’un monopole. Nous avons vu que progressivement, ces courants se sont éloignés d’une logique de coût pour prendre en compte l’analyse de la demande afin de segmenter la clientèle, d’abord à partir des élasticités, puis en utilisant des procédures permettant de révéler les préférences des individus, afin de proposer une politique tarifaire s’éloignant le moins possible des critères d’efficacité et d’équité.

L’analyse des politiques tarifaires actuellement en vigueur dans les réseaux de transport public urbain français montrent que ces dernières se sont éloignées d’une tarification s’appuyant sur l’analyse de la demande, et sur la révélation de ses préférences, dans un contexte marqué d’une part par la prise de conscience que ne pas offrir d’alternative crédible à la voiture allait conduire les villes françaises à une impasse en terme de nuisances, et d’autre part par un fort attachement au rôle social des transports en commun (réaffirmé depuis par le « droit au transport », formule introduite par la Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs de 1982). Ce contexte a conduit à proposer une tarification simple, basée sur le principe de la péréquation tarifaire dans le périmètre de transport urbain (PTU) qui induit une déconnexion entre ce que paie l’usager et ce que coûte son déplacement, face à l’importance de réaliser des transferts de la voiture vers les transports en commun. Cette tarification s’affine aujourd’hui progressivement dans le sens d’une meilleure connaissance des besoins de certains segments de clientèle (les jeunes surtout),et ce, sous la pression de certaines évolutions de la demande (baisse de la natalité, accompagnement des enfants en voiture à l’école en forte augmentation). Toutefois, ces actions restent très ciblées sur des clientèles spécifiques, alors que les besoins de la clientèle « grand public » sont peu explorés, bien qu’elle représente l’essentiel des recettes (environ 66% des recettes totales du réseau TCL), et une part importante des déplacements (environ 40%). Nous nous concentrerons donc sur cette clientèle afin d’améliorer les connaissances que l’on a de ses comportements en matière de choix d’un titre de transport, en identifiant dans un premier temps les facteurs expliquant le choix d’un titre, puis en estimant les arbitrages qu’effectue cette clientèle entre ces différents attributs.

Pour y parvenir, nous devons recourir à une production de données originale, en deux étapes : une première enquête, qualitative, devrait permettre de mettre en évidence les principaux facteurs expliquant le choix d’un titre. Une seconde enquête aura pour objectif d’estimer les arbitrages que font les clients entre les différents attributs du produit étudié pour in fine calculer le poids de chacun de ces attributs. Pour y parvenir, nous proposons d’employer une méthode d’enquête encore peu utilisée en France, la technique des « préférences déclarées », qui présente l’intérêt de permettre d’explorer le comportement de choix des individus par l’intermédiaire de marchés hypothétiques. Son autre intérêt par rapport à notre questionnement réside dans le fait qu’elle permet d’étudier l’impact d’alternatives qui n’existent pas encore dans la réalité. Or nous souhaitons évaluer l’intérêt d’un titre se situant à des niveaux intermédiaires entre mise de fond (aspect avance de trésorerie) et prix du déplacement (aspect consommation), tel qu’il existe aujourd’hui en France dans le secteur de l’électricité où le client paye un abonnement conçu comme un droit d’accès au réseau, puis paye pour sa consommation du service. Nous faisons l’hypothèse que les arbitrages effectués par certains clients entre ces deux aspects ou composantes du prix pourraient expliquer certains comportements de choix de titre qui peuvent être jugés comme étant irrationnel d’un point de vue économique.

Notre travail devrait permettre d’estimer les glissements qui se produisent dans la gamme lors de l’introduction d’un nouveau titre, ce qui constitue le second intérêt de notre travail par rapport aux besoins des réseaux. En effet, l’un des principaux freins aux réflexions des responsables de réseau sur l’évolution des gammes tarifaires est l’absence de certains outils d’aide à la décision qui leur permettraient d’évaluer les répercussions en termes de recettes, voire de fréquentation (toujours plus difficile à évaluer), de modifications de la gamme. Ces outils, adaptés évidemment aux besoins spécifiques de chaque secteur, se sont révélés indispensables afin d’assurer la réactivité et l’adaptabilité d’un secteur à de nouvelles conditions de concurrence (le transport aérien) ou pour endiguer la perte de parts de marché (le transport ferroviaire français), comme nous l’avons vu dans la troisième partie de ce chapitre.

Nous nous proposons donc d’étudier dans les chapitres qui suivent les potentialités d’une enquête de préférences déclarées comme outil permettant d’estimer les préférences des individus entre différents facteurs expliquant le choix d’un titre, outil dont nous verrons s’il est adapté aux besoins des réseaux de transport public urbain. Nous en définissons les principes ainsi que la méthodologie dans le chapitre suivant.