2.1.4.Les avantages et les limites des techniques de préférences déclarées

Les techniques de préférences déclarées permettent de surmonter un certain nombre de limites liées aux techniques de préférences révélées, telles que la possibilité de contrôler le degré de corrélation et de variation des variables. En effet, comme le souligne R. Laferrière 57 , il est généralement reconnu que les données révélées compliquent l'identification des facteurs explicatifs coût et temps de transport. La raison en est fort simple : le coût et le temps de déplacement sont fortement corrélés. Par contre, les données déclarées permettent d'isoler l'effet du prix de celui des temps, sur les choix des voyageurs. De plus, pour une même précision, elles se contentent d'échantillons plus petits (donc moins coûteux). Un autre avantage important est de pouvoir spécifier des ratios d’échange non constants (trade-off) sous la forme d’effet d’interaction. Par exemple, le tarif des transports collectifs n’a pas le même effet sur la probabilité de choix, selon le niveau de service – temps de parcours, confort, fréquence – offert : si le temps de parcours en transports collectifs est très élevé, le choix de ce mode est peu envisagé et l’effet de tarif sera faible ; par contre, si le temps de parcours de ce mode se rapproche de celui de la voiture particulière, l’effet du tarif sur le choix modal sera différent. L’application de modèles avec interaction, sous forme de fonctions d’utilité non linéaires du tarif et du temps, peut être faite dès le départ dans les enquêtes préférences déclarées, à travers les scénarios. Mais le principal avantage des techniques préférences déclarées est de pouvoir proposer des alternatives qui n'existent pas dans la réalité, et d’appréhender les conséquences de l’introduction de cette nouvelle alternative.

Toutefois, de la nature hypothétique de ces méthodes découlent certains biais, de trois sortes (Andan et al., 1995) :

Afin de minimiser ce type de biais, le questionnaire doit être clair, sans ambiguïté, et présenter des situations aussi proches que possible de celles qu’a vécues la personne interrogée. En outre, il existe une technique particulière de calibrage des modèles de comportement qui fait intervenir en plus des données issues de l’enquête préférences déclarées, des données préférences révélées, soit disponibles par ailleurs, soit recueillies en même temps que l’enquête préférences déclarées, et ce, afin de bénéficier des avantages différents de ces deux sources de données, comme nous le verrons dans le paragraphe 2.3.

Une autre limite a trait aux hypothèses relatives au comportement des individus devant opérer un choix entre plusieurs alternatives que nous avons présenté dans le paragraphe 1.1.3.4.2. Le modèle d’attitudes implicite est donc un modèle compensatoire dans lequel on considère que l’évaluation est fondée sur le principe du compromis (ou trade-off). C’est une hypothèse forte dans la mesure où rien ne dit que les préférences des individus se structurent de cette manière. Certains travaux menés depuis le début des années 60 par des chercheurs en psychologie comme Herbert Simon 58 montrent que le comportement rationnel des individus doit être étudié sous l’angle de la perception et de l’expérience de l’individu dans une situation où il doit prendre une décision. De ces travaux, est issue la notion de rationalité limitée (« bounded rationality ») : il existe un coût associé à toute prise de décision car nos propres capacités de synthèse de l’information sont limitées. Pour Thill et Timmermans (1992) 59 , cité par Calzada (1999), les individus n’utiliseraient des algorithmes de choix compensés que lorsque le nombre d’alternatives et le nombre d’attributs sont réduits. Il faut alors déterminer quelle est la part de l’information utilisée dans le processus de décision, comment elle est utilisée, et quelles règles de décision sont employées. Il ressort de ces travaux qu’en présence de deux alternatives, les individus adoptent un comportement compensatoire ; au-delà prévaudraient des stratégies de choix non compensés, que détaillent Ortuzar et Willumsen (1994), pp. 225-229.

Mais la limite la plus évidente repose sur la « fiabilité » des propos recueillis : si la situation, au départ hypothétique, se réalise, les personnes enquêtées feront-elles vraiment ce qu’elles ont déclaré ? Comme le formule J. Polak (1995), la question est de savoir si les préférences resteront stables dans le temps. Ceci soulève non seulement le problème de fiabilité des réponses, mais également celui du caractère dynamique des comportements. L’adaptation aux modifications des attributs se produira-t-elle de manière instantanée ? Les estimations effectuées sont-elles valables sur le court ou le long terme ? La démarche statique des enquêtes préférences déclarées est-elle à même de rendre compte de comportements futurs ? Toutefois, comme le constatent Andan et al. (1995), l'expérience acquise dans le domaine des comportements de déplacement influence cette opinion, car les méthodes dites de «préférences déclarées» non seulement s'y sont révélées pertinentes, efficaces et riches d'enseignements, mais sont aussi plus faciles à mettre en œuvre que les méthodes dites de «préférences révélées». De plus, Gärling et al. (1997) analyse ainsi la consistance des relations entre attitudes, intentions et comportements, en étudiant sur le plan chronologique les différences entre les comportements révélés et les comportements déclarés : si des divergences existent entre les deux, notamment en raison des déplacements non planifiables, une certaine robustesse a pu être mise en évidence, du moins à court terme. Calzada (1999) et Ortuzar et Willumsen (1994) confirment ce jugement en s’appuyant sur différentes études menées.

Certes, la mise en œuvre de ces méthodes est délicate et suppose un travail préalable pour que l'enquête soit construite dans les règles de l'art. Il faut bien connaître les comportements et attitudes des populations enquêtées, afin de bien maîtriser la signification des réponses que les enquêtés peuvent déclarer (d’où l’intérêt de jeux de simulation en amont de l’enquête « préférences déclarées »). Toutefois, les méthodes de préférences déclarées permettent plus facilement que les enquêtes de préférences révélées d'identifier des groupes au comportement spécifique, de construire une courbe des distributions des valeurs plus conforme à la diversité des situations et des attitudes des personnes. Enfin, ce genre de méthodes rend mieux compte de l'impact global que peut générer toute modification du système de transport.

Nous expliquons la démarche de construction d’un questionnaire de préférences déclarées dans le paragraphe suivant, ce qui nous permettra de mettre en évidence la délicatesse de cette phase, ainsi que l’importance du respect de nombreuses règles pour parvenir à des résultats fiables concernant les éléments cités ci-dessus.

Notes
57.

LAFERRIERE R., [1993], Les effets de seuil d'un train à haute vitesse dans le corridor Québec-Windsor, in Villes et TGV, Sixièmes Entretiens Jacques Cartier Rhône-Alpes.

58.

Voir par exemple SIMON H ., [1957], Models of man, Wiley, New york.

59.

THILL J.C., TIMMERMANS H.J.P., [1992], Analyses des décisions spatiales et du processus de choix des consommateurs : théorie, méthodes et exemples d’applications, l’Espace géographique, n°2, PP. 143-166.