2.2.3.2.2.La construction simultanée des options et des paires d’options

La construction simultanée des options et des paires d’options est la méthode la plus couramment utilisée par les bureaux d’étude car elle présente deux avantages importants :

Elle peut donc facilement être mise en œuvre en limitant les risques de biais liés à la non-orthogonalité des options.

C’est la méthode que nous avons choisie d’appliquer, avec l’assistance de Sylvie Gayda (bureau d’études STRATEC). Nous signalons à ce propos que nous avons utilisé une table de Taguchi (fournie par STRATEC). Dans notre cas, le nombre d’attributs est de 3 (prix, durée de validité du titre, lieu d’achat), avec un attribut à 3 niveaux (prix) et 2 attributs à 2 niveaux (durée de validité et lieu d’achat), sauf pour les utilisateurs de tickets unité, cas que nous traiterons ensuite, soit 3*2*2 = 12 options, et 66 possibilités de paires. Afin de construire les options et de les combiner simultanément par paire, nous avons utilisé un plan à 6 attributs dont 2 à 3 niveaux et 4 à 2 niveaux, donc multiplié le nombre d’attributs par 2 (pour former les paires).

Nous avons décidé de ne présenter à chaque répondant que deux alternatives en terme de titres : le titre Fidélité et le titre qu’il utilise actuellement (abonnement ou carnet de 10 tickets ou ticket unité). Cette solution présente en effet l’avantage de diminuer la probabilité que la propriété d’indépendance des alternatives non pertinentes (IIA) soit violée : en effet, en proposant trois alternatives en terme de titres au lieu de deux, il y a des chances plus importantes que des facteurs non observés soient communs à deux alternatives (notamment entre le carnet de 10 tickets et le titre Fidélité), ce qui remet en cause l’hypothèse d’indépendance de ces facteurs, et conduit à la violation de la propriété d’IIA, qui requiert le recours à des modèles plus complexes que le modèle LOGIT multinomial. Dans notre cas, avec deux alternatives, cet effet est neutralisé.

Remarque : Nous avons au départ hésité entre deux solutions concernant les prix :

Soit mélanger abonnement et titre Fidélité, et alors créer deux variables de prix à 4 niveaux (2 niveaux pour Fidélité et deux niveaux pour l’abonnement).

Soit séparer l’abonnement et le titre Fidélité, chacun étant représenté par une variable de prix à 3 niveaux.

Nous avons finalement choisi la seconde solution car elle présentait l’avantage de permettre de mieux estimer la constante associée au titre Fidélité, et d’avoir plus de niveaux de prix, ce qui est toujours mieux pour caler les coefficients.

Nous avons choisi d’utiliser un plan ne permettant d’estimer que les effets principaux, car il nous semblait que l’étude des interactions de 2ème ordre n’était pas nécessaire. Dans ce cas, nous obtenons in fine 16 paires d’options, ce qui, après réflexion avec le bureau d’études en charge de la réalisation sur le terrain de l’enquête, nous a paru encore trop élevé. Nous avons donc décidé de scinder ces 16 paires en 2 blocs de 8 paires. La réduction du nombre d’options passe donc, dans notre cas, par l’utilisation de plans factoriels fractionnels puis une partition du plan obtenu en 2 plans. Dans le cas des utilisateurs de tickets unité, le nombre d’attributs est également de 3, mais un de ces attributs est spécifique au titre Fidélité. Nous avons utilisé un plan à 5 attributs, avec 2 attributs à 3 niveaux et 3 attributs à 2 niveaux (2 attributs de lieu d’achat et 1 attribut de durée de validité spécifique au titre Fidélité). On obtient également in fine 16 paires d’options, que nous avons, comme pour les autres enquêtés, scindées en 2 blocs de 8 paires. Nous récapitulons les différentes phases de réduction du nombre de paires d’alternatives dans la figure suivante :

Figure 13 : Synthèse des procédures utilisées pour réduire le nombre de paires d’options à proposer aux enquêtés
Figure 13 : Synthèse des procédures utilisées pour réduire le nombre de paires d’options à proposer aux enquêtés

Cette phase, qui paraît de prime abord très technique, a été complétée par une phase indispensable d’analyse des paires d’options obtenues, phase beaucoup plus qualitative. En effet, on vérifie paire par paire que le choix que l’on demande de faire aux enquêtés respecte les 3 critères précédemment mis en évidence, à savoir le réalisme du trade-off proposé, son acceptabilité et son efficacité, et ce à partir de données concrètes relatives à la situation actuelle des personnes enquêtées. Dans notre cas, cela a consisté à voir si pour des niveaux de mobilité donnés, les trade-off étaient pertinents. Dans le cas où certaines paires nous paraissaient peu intéressantes, nous avons cherché à modifier les options proposées, en tenant compte du fait que si on remplace par exemple la modalité « lieux d’achat actuels » par la modalité « lieux d’achat étendus », il faut enlever dans une autre option la modalité « lieux d’achat étendus » et la remplacer par la modalité « lieux d’achat actuels ». Ces permutations améliorent les aspects de fond (réalisme, acceptabilité et efficacité), mais sur la forme, il faut prendre garde à ne pas biaiser l’orthogonalité du design. A chaque permutation, on vérifie les coefficients de corrélation entre les différentes colonnes (qui représentent les niveaux pris par chaque attribut pour chaque paire d’options) du design. On considère que ces coefficients ne doivent pas dépasser +0.5, ou être en dessous de –0.5.

Concernant la séparation en bloc du design initial, comme le soulignent Pearmain et alii (1991), chaque bloc de choix doit représenter un plan factoriel fractionnel qui permet au moins d’observer séparément les effets principaux entre attributs. Pour ce faire, nous avons vérifié que les critères d’équilibre des niveaux (les niveaux des attributs apparaissent tous avec la même fréquence) et d’orthogonalité (l’occurrence de n’importe quelle combinaison de 2 niveaux apparaît dans les choix avec une fréquence égale au produit de leurs fréquences marginales) soient respectés.

Nous revenons sur les attributs entrant dans la construction du design : initialement, un de nos objectifs était de pouvoir tester l’hypothèse que le prix ne peut être considéré comme une seule composante, mais qu’il est constitué de deux facettes, une facette « avance de trésorerie » ou mise de fond et une facette « consommation » ou prix du déplacement, hypothèse émise suite aux résultats de l’enquête qualitative mettant en évidence cette double composition du prix. Nous souhaitions évaluer dans un premier temps les préférences des individus pour chacun de ces éléments par l’intermédiaire du titre Fidélité, qui aurait été proposé à différents niveaux de mise de fond et de coût du déplacement, variant librement. L’intérêt était également de comprendre pourquoi certaines personnes utilisaient un titre de transport qui n’était pas adapté à leur mobilité : ainsi, les utilisateurs de tickets unité dont la mobilité en transport en commun est suffisamment élevée pour acheter des carnets de 10 tickets, voire parfois même un abonnement, ne le font pas car la mise de fond que représentent ces deux titres est trop élevée pour eux. Ils préfèrent payer un prix au déplacement élevé, plutôt que de faire l’avance du montant du carnet de 10 tickets ou de l’abonnement. En suivant le même raisonnement, les abonnés qui pourraient acheter des carnets de 10 tickets du fait de leur faible mobilité ne le font pas car ils préfèrent faire l’avance de trésorerie correspondant au montant de l’abonnement plutôt que d’acheter au fur et à mesure de leurs besoins, ce qui implique une contrainte liée à des démarches d’achat plus fréquentes dans le mois.

Il s’avère que la contrainte portant sur le nombre maximum de trade-off à présenter aux personnes enquêtées ainsi que la « délicatesse » du travail qualitatif portant sur la conception du design final nous ont conduit à ne pas dissocier la mise de fond du coût du déplacement pour le titre Fidélité : en effet, en créant deux variables de prix au lieu d’une pour ce titre (une variable correspondant à la mise de fond et une variable correspondant au prix au déplacement), des situations d’alternatives dominantes par rapport à toutes les autres ou dominées par toutes les autres avaient une plus grande probabilité d’occurrence, ce qui rend beaucoup plus compliqué le travail qui vise à ce que le design respecte les critères de réalisme (réalisme dans le sens où les deux alternatives en compétition soient relativement équilibrées en terme d’avantage pour que les répondants n’aient pas le sentiment que le jeu est « truqué ») et d’orthogonalité (il faut réarranger le design de manière à ce qu’il n’y ait de trade-off pour lequel une alternative est complètement dominante ou complètement dominée, en prenant soin de ne pas trop corréler les variables entre elles, ce qui est un travail très délicat). D’autre part, pour une même qualité de l’ajustement des coefficients des variables, plus de trade-off auraient été nécessaires. Enfin, en liant la mise de fond au prix du déplacement, on contrôle l’effet prix, qui pourrait biaiser les réponses faites aux trade-off par les répondants. Pour ces raisons, nous avons préféré ne pas scinder le prix en deux variables indépendantes, choix qui se fait au prix d’une perte d’information sur les poids respectifs de l’aspect mise de fond et de l’aspect coût du déplacement pour chacun des segments de clientèle, et empêcher la révélation de leurs préférences pour les différents attributs du choix. Cette perte d’information a pour conséquence (forte) de ne pouvoir proposer une tarification construite en s’appuyant sur les préférences des individus pour un titre proposé à des niveaux différents de mise de fond et de coût du déplacement (pour des avantages qualitatifs donnés) et d’évaluer l’impact d’un tel titre (ou de ces titres en considérant qu’ils sont différents puisqu’ils renvoient à plusieurs niveaux de prix) sur les recettes financières, et donc son intérêt, dans la logique de la théorie des surplus. Nous ne pourrons qu’évaluer l’intérêt d’un titre proposé à tel niveau de mise de fond et tel niveau de coût du déplacement comparé à l’intérêt d’un autre titre avec, par exemple, une mise de fond plus importante mais un coût du déplacement plus faible. Autrement dit, la coexistence dans une gamme de plusieurs titres à des niveaux de mise de fond et de coût du déplacement différenciés ne peut plus être étudiée.

En guise de conclusion à ce paragraphe, nous rappelons quelques éléments clé pour la réussite d’une enquête de préférences déclarées  (Ortuzar et Willumsen, 1994) :

Ces préconisations montrent que la réalisation d’une enquête de préférences déclarées passe par le respect d’un cadre méthodologique rigoureux, car la pertinence de ses résultats en dépend. Nous verrons dans le paragraphe suivant que l’on peut améliorer la précision des estimations en combinant les données issues d’enquêtes « préférences révélées » et les données issues d’enquêtes « préférences déclarées » par l’intermédiaire de procédures appelées « enrichissement de données ».