2.4.Conclusion : un impératif pour une évaluation pertinente des préférences des individus, le respect d’un cadre méthodologique rigoureux

Nous avons vu que les enquêtes préférences déclarées se sont développées afin de dépasser les limites des préférences révélées qui sont, rappelons-le, le fait que l’on ne contrôle pas « l’expérimentation », on ne peut que constater l’état les évolutions comportementales et faire des prévisions à court terme, et ce, en recueillant un grand nombre d’informations. Ce constat nous amène à la 2ème limite importante de cette approche, aucune modification importante du système due à l’introduction d’option nouvelle, actuellement inexistante, ne peut être appréhendée par son intermédiaire. Avec les enquêtes de réponses déclarées, l’expérimentation est contrôlée dans la mesure où les conditions d’un marché hypothétique sont décrites de manière précise, et plusieurs options sont mises en concurrence, parmi lesquelles le répondant doit choisir la solution qu’il préfère. Toutefois, derrière cette logique commune, il existe un éventail de méthodes qui diffèrent par la nature des réponses comportementales possibles (connaissance préalable ou non de l’éventail de choix) et par l’explicitation a priori des contraintes (ou facteurs susceptibles de modifier le comportement de choix) auxquelles on soumet l’enquêté.

Parmi ces méthodes, nous avons choisi d’utiliser celle qui est appelée « préférences déclarées », qui impose à la fois les attributs du choix, ainsi que le champ des réponses comportementales. En effet, elle nous semblait adaptée à notre problème dans la mesure où nous cherchons à mettre en évidence des profils de clientèle différenciés en fonction du poids qu’ils attribuent aux facteurs du choix d’un titre. D’autre part, cette méthode permet d’utiliser un modèle d’estimation des fonctions d’utilité et des probabilités de choix relativement simple, le modèle LOGIT multinomial, au prix toutefois de la satisfaction d’hypothèses lourdes concernant la distribution des termes aléatoires. Le modèle hiérarchique a été conçu de manière à lever une partie de ces hypothèses, mais la résolution du problème reste partielle. L’utilisation de modèles tels que les modèles PROBIT ou LOGIT multinomiaux mixtes conduit à l’abandon des hypothèses les plus fortes, mais ils sont cependant plus difficiles à mettre en œuvre et fournissent des résultats plus complexes à analyser, ce qui explique qu’ils sont encore peu intégrés dans des logiciels (Hielow distribué par STRATEC, ALOGIT distribué par HCG ou Limdep) car ils n’apportent pas d’avantages en terme d’opérationnalité.

Parmi les différentes formes de réponses possibles, le classement, la notation ou le choix discret, nous avons choisi d’utiliser cette dernière méthode car elle nous semble beaucoup plus proche de la manière dont les individus font réellement leur choix . D’autre part, la méthode des choix permet d’utiliser directement les modèles de choix discrets, sans faire d’hypothèses ad hoc qui peuvent se révéler incorrectes. On peut donc facilement calibrer des fonctions d’utilité et obtenir des estimations de la part de marché pour un titre se situant à des niveaux intermédiaires de mise de fond et de coût du déplacement (sous réserve évidemment de la satisfaction de l’hypothèse d’IAA).

La deuxième partie de ce chapitre nous a permis de mettre en évidence que la construction d’un questionnaire de préférences déclarées passe par le respect strict d’un certain nombre de règles afin de s’assurer de la qualité des données et de l’intérêt des résultats produits, dont les principales sont celles du réalisme et de l’acceptabilité des scénarios proposés, de l’efficacité des attributs sélectionnés, ainsi que de leurs niveaux, et de simplicité générale de l’exercice afin de limiter le « fardeau » des enquêtés. On constate qu’il faut trouver un équilibre entre toutes ces conditions. Dans notre cas, la conduite d’une enquête qualitative sur le réseau de transport en commun de Lyon a permis de mettre en évidence que les attributs du choix pour la clientèle « grand public » était le prix, décomposé en mise de fond et coût du déplacement, le lieu d’achat et la durée de validité. Les niveaux ont été déterminés pour les prix à partir de simulations réalisées sur les données TCL de manière à proposer des titres attractifs pour une partie de la clientèle, tout en restant réalistes et n’impliquant pas de pertes financières lourdes pour le réseau, et pour les autres attributs à partir des résultats de l’enquête qualitative. Nous les avons ensuite présentés à des responsables du réseau TCL afin de valider leur pertinence et leur intérêt.

D’autre part, la méthode des choix implique de tenir compte d’une difficulté supplémentaire qui est celle de la combinaison judicieuse des options entre elles dans la mesure où l’on ne peut toutes les combiner les unes avec les autres. Pour y parvenir, nous avons choisi d’utiliser la méthode des plans factoriels fractionnels ainsi qu’une partition du plan complet, afin de limiter au maximum le nombre de trade-off proposés aux répondants, étant donné la nouveauté de ce type d’exercice pour eux. Nous obtenons in fine de proposer 8 trade-off à chaque enquêté. Cette condition que nous nous étions imposé de limiter au maximum la complexité et la longueur de l’exercice pour le répondant nous a cependant conduit à restreindre le champ des possibles concernant l’évaluation de l’introduction dans la gamme de plusieurs titres proposés à des niveaux différenciés de mise de fond et de coût du déplacement, dans la logique de la théorie des surplus. Nous ne pourrons qu’étudier l’intérêt d’un titre avec mise de fond 1 et de coût du déplacement 1 par rapport à l’intérêt d’un autre titre avec mise de fond 2 et de coût du déplacement 2, ce qui est toutefois intéressant dans une logique opérationnelle pour laquelle il y a de grandes chances qu’un seul titre soit créé.

Les deux chapitres suivants, dont le premier traite de la mise en œuvre concrète de l’enquête sur la clientèle grand public du réseau de transport en commun lyonnais, et le second de l’analyse des résultats produits, nous permettront d’étudier la pertinence des choix que nous avons été amenés à faire, en termes de taux de réponse et de compréhension de l’exercice par les répondants, mais également en terme de qualité des résultats.